Saison toxique pour les foetus
C’est l’histoire des Smirnov, une famille qui a vu comment l’Union Soviétique a laissé place à une société capitaliste brutale, marquée par les conflits et les attentats terroristes, une société qui génère des vies chaotiques, brisées.
C’est plus exactement l’histoire de trois jeunes représentatifs de la génération Y, une jeunesse perdue, désenchantée, en manque d’amour, qui cherche refuge dans le sexe et l’alcool. Les trois cousins Dacha, Jenia et Ilia sont élevés dans une famille plutôt “déglinguée “ mais qui met beaucoup d’espoir dans le futur des enfants. Le père de Jenia, ancien militaire, vend des collants sur les marchés avec sa femme, il a décrété quasiment à la naissance de sa fille qu’elle serait traductrice. Lui et sa femme son souvent blessants à l’égard de leur fille qui, heureusement, trouve du réconfort auprès de sa grand-mère. Celle-ci a dû venir vivre avec Jenia et ses parents, après avoir été dépouillée par un escroc. Elle possède une petite datcha, où la famille passe les vacances. Jenia se réfugie dans le grand arbre situé devant la maison, pour échapper aux vexations et observer les adultes qu’elle ne comprend pas. En 1995, alors que Jenia a 11 ans, arrive sa tante Mila et ses enfants, l’atmosphère change. Mila est une très belle femme qui, malheureusement, ne sait pas choisir ses maris ; le dernier, alcoolique et très violent, est mort dans des circonstances tragiques. Jenia va trouver en son cousin Ilia quelqu’un qui la comprend, qui partage les mêmes goûts qu’elle. Lesdeux cousins vont devenir très proches.
La première phrase du roman est : “Personne, chez les Smirnov, n’aurait imaginé qu’un tel malheur puisse arriver”. Ce “malheur” sera celui de Jenia quelques années plus tard, elle deviendra le déshonneur de sa famille. L’ enfant solitaire, peu aimée de ses parents, continuera à évoluer avec ce poids , étudiera, s’éloignera, poursuivra sa vie dans une société misogyne, raciste, où les inégalités sociales sont criantes, où l’injustice et la pauvreté règnent, où la violence des hommes sous l’emprise de l’alcool à l’encontre des femmes semble une fatalité. Les sentiments de tristesse et de peur, le vide intérieur domineront chez Jenia à l’âge adulte, elle devra lutter contre son alcoolisme caché, contre ses doutes, ses démons intérieurs et se défaire de sa Honte (avec une majuscule).
Ce récit d’un malheur familial s’inscrit dans un contexte national violent, la Russie des années 90, 2000,2010, qui a vécu une période de nombreux attentats terroristes imputés aux Caucasiens. Ces attentats ont marqué les trois cousins du récit, mais aussi toute une génération, tout comme l’autrice qui le dit dans une postface intéressante : “ Comment accéder au bonheur, dans un tel contexte ? Comment être heureux quand on vit dans la peur ? ( ...)Les terribles attentats qui se sont produits à cette époque ont laissé une trace indélébile sur la génération âgée aujourd’hui de trente à quarante ans. Pendant notre enfance et notre adolescence, on nous a inondés d’information plus horribles les unes que les autres, qui sont devenues, d’une certaine manière, la normalité “.
Ce récit au style qui peut sembler fade prend en fait le ton d’une chronique qui nous plonge dans la Russie contemporaine, dans un contexte laid, étouffant, violent, que l’autrice dénonce avec courage. Elle dédie son roman “ à toutes les femmes qui l’ont aidée dans son existence”. Nous, lecteurs et lectrices pouvons la remercier et la féliciter pour son roman qui nous éclaire sur la vie dans son pays.
MP
Saison toxique pour les foetus
Vera Bogdanova
Traduit par Laurence Foulon
Actes Sud