Perdre est une question de méthode
Perdre est une question de méthode
Santiago Gamboa
Perder es cuestión de método, 1997 - traduit de l'espagnol par Anne-Marie Meunier
Métailié, 1999 et 2003
Alors que le dernier opus de Santiago Gamboa était sur le point d'être publié en France (Prières nocturnes, qui est maintenant édité par Métailié), nous sommes allés à la découverte de cet auteur colombien en attendant de peut-être pouvoir échanger quelques propos avec lui à l'occasion de sa venue à la Comédie du livre de Montpellier.
La Colombie a acquis depuis des décennies la réputation d'être un pays où la violence est aussi brutale que banale, ordinaire. Entre narco-trafics et conflits de pouvoir, entre exploitation sauvage des ressources et mouvements de libération, les agressions, les assassinats, la corruption trouvent un terreau très propice à leur développement. Dans le même temps, on nous dit que c'est un pays où les gens sont pleins d'optimisme et d'une certaine joie de vivre.
Le roman de Gamboa nous introduit dans ce climat bien étrange où l'horreur et le macabre, la corruption et le cynisme sont racontés avec un irrésistible humour. Perdre est une question de méthode a quelque chose de très cinématographique (et est d'ailleurs devenu un film) par son écriture et son découpage : dialogues percutant, scènes très visuelles dans lesquelle l'intrigue progresse méthodiquement (ce qui ne veut pas dire sans surprise pour le lecteur). Sur le fond, on peut penser à Main basse sur la ville (Francesco Rossi) mais sur la forme, on se retrouve dans un polar très noir qui bascule à certains moment dans un burlesque qui relève à la fois des slapsticks des débuts du cinéma muet ou du sens de l'absurde des Monthy Python, le tout en mettant en branle une mécanique aussi précise que celle des films de Keaton ou de Tati.
Victor Silampa, journaliste et détective privé, est embarqué dans une enquête que lui a quasiment confiée le capitaine Aristophane Moya, surtout préoccupé par son poids et par sa démarche auprès d'un groupe de parole qui doit l'aider à dépasser ses désordres alimentaires et son incurable gourmandise. Cela commence avec une victime anonyme que l'on retrouve empalée au bord d'un lac. Qui est-elle? Pourquoi ce rituel ou cette mise en scène? Quels intérêts se cachent derrière cette spectaculaire mise à mort?... A force de partir sur des pistes incertaines, Victor va progresser dans son enquête et provoquer bien des hostilités. Secondé par un détective amateur qui voudrait retrouver son frère disparu il y a quelques mois, prenant les avis d'un ancien collègue hospitalisé depuis des années, Victor finit par déranger à tel point qu'il lui va falloir quitter son appartement saccagé, se faire plus que rare et discret dans ses visites à la rédaction du journal. Entre élus magouilleurs, parrains du milieu, association de naturistes, les questions et les agissements de nos pieds nickelés ont perturbé le fragile équilibre et le jeu de massacre va devenir de plus en plus fou, de plus en plus incontrôlable au fur et à mesure que se dévoilent les intérêts, les mensonges et les coups fourrés des uns et des autres.
Nous découvrons un monde qui semble pourri jusqu'à la moelle, où tout est possible mais où tout finit par payer ou se payer. Quand tout est possible, un certain détachement, l'humour et le sens de la dérision sont indispensables. Santiago Gamboa et ses personnages les manient avec une indéniable maestria, pour notre bonheur.
Une autre note de lecture sur le blog du comité de lecture de l'AFCM (Amitiés Franco-Colombiennes de Montpellier) - En espagnol
Article initialement publié sur le blog Fils de lectures.