Sur la paupière de mon père
Sur la paupière de mon père
Sjón
traduit de l'islandais par Eric Boury (Með titrandi tár, 2001)
Payot & Rivages, 2008 et 2011
Sjón, c'est une voix islandaise que vous avez peut-être entendue sans même le savoir. L'écrivain a en effet été parolier de la chanteuse Björk, notamment à l'occasion du film de Lars von Trier Dancers in the Dark. Poésie, théâtre, livret d'opéra, roman, livres pour la jeunesse font partie des domaines qu'il a déjà pu explorer. Sur la paupière de mon père est son 3e roman (il en a écrit 4 autres depuis).
Une écriture foisonnante dans laquelle on peut se perdre nous narre les aventures du père du narrateur, Leó Löwe qui s'est embarqué pour l'Islande après avoir traversé une partie de l'Europe en guerre à pied. Malmené par les flots il débarque sur les terres d'Islande en juin 44, le 17. Son fils est avec lui, pas encore tout à fait vivant, blotti au fond d'une boîte à chapeau. Cela peut surprendre, mais le fils, narrateur, est en fait un petit bonhomme d'argile auquel il reste à donner vie.
Leó veut devenir islandais, mais cela ne sera pas si simple et il devra passer par quelques épreuves, et aussi changer de nom, ce qui ne se fera pas sans péripéties et surprises! Son nouveau nom fait même scandale dans les plus hautes instances de l'Etat, avant d'être modifié. Espion russe, théologien noir, loup garou, revenant enquêtant sur un vol de collection de timbres... les personnages que croisera Jón Jónsson, puisque ce sera son nouveau nom, sont peut-être de bons islandais, mais ils sont aussi bien étranges.
Le récit touffu saute à travers les temps et les époques, du monde légendaire des sagas à celui d'une Islande prise dans la modernité. Cela peut rappeler l'écriture boulimique d'un Gunther Grass (Je pense notamment au Turbot) ou de certains écrivains sud-américains. On peut s'y perdre. On peut aussi s'y amuser comme un fou et accueillir avec bonheur le rire énorme qui perce et n'épargne pas le conformisme et l'avidité qui existent là-bas comme ailleurs.
A l'extérieur du temple, la vie poursuit son cours. Les habitants de la ville se mettent au lit. Les lumières sont éteintes dans Skuggahverfi, le quartier des Ombres. Demain, c'est lundi, une nouvelle semaine de labeur s'annonce dans la vie de l'industrieux islandais qui, quitte à s'en rompre le dos, travaille pour servir son pays, car la nation en est encore à user ses chaussures d'enfant et il désire ardemment la voir atteindre une saine maturité. Un danseur de flamenco esseulé pleure sur son destin sur les marches du Théâtre national. Et les trois compères dans la voiture garée sus un porche de l'autre côté de la rue se fichent de la santé de la république, ce qui est aussi le cas de l'homme bâillonné, attaché au fond du coffre.
Eh bien, pendant que les francs-maçons se restaurent après avoir honoré leur ânon, Löwe, Brown et Pouchkine attendent de mettre à exécution la seconde partie de leur plan consistant à récupérer l'or dont mon père a besoin pour éveiller à la vie son unique fils. Le prisonnier du coffre médite en revanche sur la manière dont il pourra se libérer et contrarier leur projet.