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Publié par Marc

Des larmes sous la pluie

Des larmes sous la pluie
Rosa Montero

Lágrimas en la lluvia, 2011 - traduit de l'espagnol par Myriam Chirousse

Métailié, 2013

Il existe une catégorisation des livres, ce qu'on appelle les genres littéraires, qui est bien pratique pour les bibliothèques, les libraires et les éditeurs, mais qui cloisonnent parfois nos lects, nous organisent les lecteurs en "communautés" ou en "groupes cibles" pas forcément judicieux ni très intéressants. J'ai pu le constater : dès que l'ombre de la Science Fiction apparaît lorsque l'on essaye de présenter ce récent opus de Rosa Montero que sont Des larmes sous la pluie, certains lecteurs peuvent choisir de passer leur chemin, d'autres livres les attendant dans d'autres mondes. Un coup d’œil sur la quatrième de couverture, une moue dubitative, sceptique, et le livre est mis à l'écart, reposé sur sa table ou son présentoir. Le goût de chacun est bien sûr tout à fait légitime, mais il devient plus préjudiciable lorsqu'il risque de nous priver, a priori, de belles lectures et de réelles découvertes. Heureusement, il se trouve aussi des auteurs qui défient la classification des genres, qui la débordent au risque de dérouter leur éditeur et ses commerciaux, de perturber les revues et leurs critiques littéraires, voire de décevoir leur lectorat habituel. Rosa Montero est un des ces auteurs qui d'un roman à l'autre, d'un livre à l'autre, joue avec les genres et les conventions : SF, polar, roman historique, chroniques...

Les larmes sous la pluie sont donc inscrites dans une référence directe au monde de la science fiction. Il y est même explicitement fait référence au film Blade Runner (Ridley Scot, 1982), lui même inspiré d'un roman de Philip K. Dick (Do Androids Dream of Electric Sheep? - 1968). Rosa Montero reprend le thème du mélange et de la rivalité entre humains et « androïdes », qui est une des thématiques récurrentes du genre. Nous sommes précisément en 2125 et il s'avère que le 21e siècle qui s'est écoulé n'a rien eu a envier au 20e pour ce qui des guerres généralisées, de la pollution, des corruptions et des explosions urbaines... Mais c'est surtout l'histoire de Bruna Husky que nous allons suivre. Cette "réplicante" atypique qui est aussi détective, est obsédée par le mensonge, ou la fiction, sur laquelle repose sa vie. Une vie dont la fin semble inéluctablement programmée et dont le compte à rebours rythme le récit qui se déroule sur une dizaine de journées. Dès le premier jour, dès les premières minutes du récit, Bruna manque de se faire assassiner par une voisine qui se donnera aussitôt la mort. Le récit de SF est aussi un polar qui démarre fort et dont l'intrigue ne nous lâche plus.

Peut-être qu'au delà des genres avec lesquels ce roman joue, c'est une histoire d'apprentissage qui nous est racontée. Interrogeant autant son passé que son futur, Bruna Husky s'attache aussi à comprendre son présent, le monde et les autres vivants, les "sentants", qui l'entourent. A qui peut-elle se fier ? Sur qui peut-elle se reposer, elle qui a été entraînée à une solitude qu'elle vit de plus en plus mal, qui connaît des douleurs et des doutes si proches de celles des humains ? L'un connaît le passé dont elle est née, un autre la surveille et surgit à ses côtés dans les moments les plus inattendus, un troisième lit ses pensée comme un livre ouvert, que lui veulent-ils et qu'attend-elle d'eux ? Au bout du compte, il se pourrait bien que la non-humaine soit bien humaine, trop humaine.

Des larmes sous la pluie joue aussi sur le terrain de la politique fiction, à la manière d'un Orwell avec 1984, ré-écriture de l'histoire comme de l'actualité présente qui sont autant de stratégies de manipulation de l'opinion, jouant sur les peurs pour libérer les haines au profits de quelques-uns. Les procédés sont vieux comme l'histoire des nations, avec leur attirance morbide pour le pire. Cela est d'actualité en 2014, comme cela l'a souvent été dans l'histoire et risque de l'être encore d'ici 2125. Cela n'est pas du tout anodin si l'on se rappelle que l'on est en Espagne, un de ces pays où la mémoire et l'histoire, leur construction ou leur reconstruction, sont au cœur de la vie politique et culturelle.

Pour finir, il faut aussi faire mention de l'adresse avec laquelle différentes formes d'écriture sont convoquées. Le récit classique alterne en effet avec des rapports parsemés de corrections (des lignes entières barrées, mais parfaitement lisibles) et de commentaires. Récit à côté du récit qui nous permet de mieux comprendre ce qu'est devenu notre monde et qui en même temps contribue à nouer l'intrigue et à resserrer le nœud.

Un roman qui questionne et qui touche, lumineux comme les noirs de Soulages, et dont les 400 pages passent bien rapidement. On ne t'oubliera pas, Bruna Husky...

MO

PS : Lisez et vous comprendrez le pourquoi de la référence à l'art de Soulages.

PPS : Vous pourrez rencontrer l'auteur à la prochaine Comédie du livre de Montpellier.

Un roman qui n'est pas de la fiction : témoin l'article ci-dessous paru dans le quotidien le Midi-libre du 29 mars 2014.

 
Thierry Mendez a perdu 92 ruches, contaminées dans les P-O. D’autres sont dans son cas.
Thierry Mendez a perdu 92 ruches, contaminées dans les P-O. D’autres sont dans son cas. (© D.R)

Des millions d'abeilles sont décimées par intoxication. Les apiculteurs de la région Languedoc-Roussillon sont touchés. Parmi eux, l’Héraultais Thierry Mendez. Dégâts importants dans les P.-O.

Il voulait que ses ouvrières butinent les rhododendrons, ces azalées que l’on rencontre en région montagneuse. Qu’elles aillent se poser sur les fleurs de châtaignier, qu’elles titillent le tilleul. Pour pouvoir obtenir la plus large variété de miels. Depuis dix ans, Thierry Mendez, apiculteur installé à Villeneuve-lès-Maguelone dans l’Hérault, mène ses abeilles au plus haut des monts des Pyrénées-Orientales.

"Ce sont des territoires sains, déserts"

À Font Romeu. Au grand air. L’été dernier, à leur retour au bercail, les reines ne voulaient plus reprendre la ponte. Et de façon fulgurante, le cheptel de 92 ruches, partie en transhumance, s’est éteint. Totalement décimé. Laissant l’agriculteur dans l’incompréhension et le désarroi. "Les zones où j’avais installé les ruches sont éloignées de toutes exploitations. Ce sont des territoires sains, déserts".

"Aucune pathologie, pas plus que de la mortalité naturelle"

Thierry Mendez fait alors appel à deux experts. Yvan Bouisson, en charge de recherche phytosanitaire à l’Institut national de la recherche agronomique et Marc-Édouard Colin, vétérinaire conseil du groupement de défense sanitaire apicole (GDSA) de l’Hérault. "On a vite écarté la piste de l’acarien parasite qu’est le Varroa. Ainsi que la possible responsabilité de l’apiculteur quant à une quelconque négligence", témoigne le spécialiste des maladies des abeilles. D’après les premières analyses du miel, de la cire, et l’observation des rares abeilles survivantes, tout laisse entendre qu’il s’agit d’intoxication. "On a, de plus, recoupé ce qui arrivait avec ce qui a été constaté dans les cheptels des Pyrénées-Orientales et de l’Ariège, fortement touchés", poursuit Yvan Bouisson.

"Il n’y a aucune pathologie qui ressorte"

En Catalogne, en effet, plus de 1 300 ruches ont été ainsi détruites. "On compte 18 apiculteurs sinistrés", observe Jean Adestro, président du groupement de défense sanitaire apicole des Pyrénées-Orientales, qui répertorie chaque jour les dégâts engendrés. "Il n’y a aucune pathologie qui ressorte. Il ne s’agit pas de mortalité naturelle. Ce n’est pas non plus lié à un manquement des apiculteurs."

Se balader dans l’atmosphère, c’est que c’est toxique

Lui-même, professionnel de l’abeille, a perdu des ruches. Il a sa petite idée sur les origines de l’intoxication mais ne veut pas se prononcer avant la délivrance des résultats des expertises et contre-expertises. Ce que partage Yvan Bouisson de l’Inra : "Il faut rester extrêmement prudent. Ne pas faire de mauvais procès d’intention". Et de rappeler que les abeilles sont le plus performant baromètre des pollutions. Même des plus infimes. "Quand elles ne peuvent plus butiner les fleurs, se balader dans l’atmosphère, c’est que c’est toxique". Pour Jean Adestro, c’est d’autant plus dramatique que les apiculteurs sont déjà très exposés, fragilisés. Il déplore aussi que l’intoxication provienne "de la montagne. L’endroit, par excellence où l’on dit que l’on se requinque, fait ses réserves de bon air".

Le GDSA et l’union syndicale apicole du Roussillon ont voté, en janvier dernier, une motion visant à la reconnaissance des récentes mortalités, afin que des moyens humains et financiers soient dégagés pour soutenir les apiculteurs sinistrés. Certains ont perdu la totalité de leur cheptel. L’Héraultais Thierry Mendez, lui, a fait estimer les dommages subis, entre la perte de ses ruches, de sa récolte, l’achat d’essaims pour remonter une activité. La facture s’élève à 67 988 €.

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