L'étranger
L’Etranger, d’après l’œuvre d’Albert Camus
Jacques Ferrandez
Collection Fétiche, Gallimard Jeunesse – 2013
Jacques Ferrandez, natif d’Alger, est un prolifique auteur de bandes dessinées et un fin contrebassiste de jazz. Après une formation à l’Ecole nationale des arts décoratifs de Nice, il publiera des « Nouvelles du pays » chez Casterman. Le cycle «L’eau des collines », quant à lui, s’inspirera directement des récits de Pagnol. Aux alentours des années 2000, il collabore avec Tonino Benacquista. « L’outremangeur », fruit de ce travail commun, sera porté à l’écran ; suivra « La boîte noire » dont la trame narrative préfigure d’une certaine manière sa lecture de Camus. Un homme à la suite d’un grave accident de voiture perd la mémoire et s’avère dès lors incapable de distinguer clairement ce qui appartient au réel des productions de son imagination, dominé par le flux de ses fantasmes, miné par un lancinant sentiment de culpabilité, il tentera douloureusement de s’extraire de sa grande confusion. Thématique avec laquelle il renouera quand il abordera l’œuvre de Camus. Camus dont il illustrera en 2009 « l’Hôte », une belle nouvelle qui met en scène des hommes de bonne volonté, confrontés inéluctablement aux « conditions nécessaires »de la guerre d’Algérie, la fraternité possible se dissout alors dans la violence du conflit. Cette première rencontre particulièrement réussie (accomplie en bonne intelligence avec sa fille) amènera Jacques Ferrandez à braver la dense matière, texte connu de tous, texte abyssal s’il en est, de l’Etranger. L’entreprise était ambitieuse, éveillant certainement une bienveillante curiosité, une once de perplexité également. Nonobstant le talent graphique du dessinateur, ses subtiles qualités de mise en page, ici nous retrouvons avec plaisir les superbes plans larges, les panoramiques qui font tout l’attrait des « Carnets d’Orient ». Jacques Ferrandez est un « paysagiste » hors pair, qu’il nous transporte au cœur d’un quartier d’Alger ou sur la plage, lieu ensoleillé du drame à venir. Pour autant le projet, aussi légitime pouvait-il être, ne me semble pas satisfaire son ambition. L’intime complexité des personnages est quelque peu édulcorée par une certaine raideur du trait qui fige l’expression des sentiments. Si la dialectique texte-image est plutôt efficace, il me semble que nous ne retrouvons pleinement Camus qu’au moment de la séquence où Meursault est emprisonné. Exempté des autres, livrés à la nuit carcérale, à l’entêtement du confesseur, au cœur du désastre il crie l’ardeur de sa dignité d’homme. Et l’image le dit avec force.
Christian B