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Publié par Marc

Le Prodige

Le Prodige
Roy Jacobsen

traduit du norvégien par Alain Gnaedig

Gallimard, 2014

Oslo, Norvège, 1961. Un monde semble être en train de basculer, que ce soit du côté des nouveaux moyens et exploits scientifico-technologiques ou de l'évolution des mœurs. Pour autant, la vie n'est pas simple lorsque l'on est une mère isolée dans la cité, avec un jeune garçon d'une dizaine d'années.

Tout a commencé quand maman et moi on s'est mis à rafraîchir l'appartement annonce le jeune Finn dès la première page. Le projet d'avoir un appartement joli, normal surtout, amènera en effet vite l'accueil d'un locataire pour pouvoir s'en sortir. Ce sera Christian, qui dit avoir été marin, mais dont les mains ne sont pas celles d'un travailleur manuel. Finn a du lui céder sa chambre, mais d'autre transformation vont arriver, ne serait-ce qu'avec cette télévision que Christian a aporté avec lui.

Puis bientôt voilà que la venue d'une demie-sœur s'annonce. Le père, un grutier qui a complètement disparu de la circulation, a en effet eu une fille, Linda, que sa mère ne peut garder. Il y a comme un air de normalité dans cette « famille » improbable où deux adultes et deux enfants vont tenter de construire un morceau de vie dont on ose pas dire qu'elle est commune. Linda ne semble pas une enfant ordinaire, et dérange un peu la mère de Finn. Pas encore en âge scolaire, elle donne l'impression d'être... en difficulté, de ne pas être comme les autres enfants. Mais nous sommes en un temps et dans une famille où de telles choses sont bien difficile à parler.

Heureusement qu'il y a aussi Marlene, la jeune femme qui garde les enfants de temps à autre, qui est aussi devenue une confidente, voire une complice de la mère. Marlene qui sait trouver les mots justes, qui calment et rassurent, qui permettent de continuer, qui ne ment pas.

La vie est chamboulée et des choses nouvelles arrivent, qui n'était jamais arrivé. Les chose plus anciennes se dévoilent petit à petit sous un jour nouveau, les silences et les rituels se fissurent. Les non-dits restent des non-dits, mais ils ne sont peut-être plus des secrets. C'est tout cela que Finn va apprendre à entendre, à sentir, tout en menant ailleurs une autre vie, avec Freddy 1, avec l'école, avec Linda qui grandit, avec Christian qui disparaît et ré-apparaît, jusqu'à ce qu'à nouveau tout bascule au fur et à mesure que se tournent les pages.

Un roman d'apprentissage où les choses sont suggérées, dites et tues à la fois, où les secrets se savent mais ne se disent jamais entièrement. Roy Jacobsen nous livre avec une grande pudeur un récit qui aurait pu être mélodramatique mais qui touche d'autant plus qu'il reste retenu, comme à mi-voix. Un roman dont on se retire sur la pointe des pieds avec le sentiment d'avoir partagé l'intimité de ce qui ne se dit pas d'ordinaire, qui suppose une grande confiance et qui nous fait refermer le livre avec la précaution de qui ne veut pas réveiller ceux qui ont trouvé un peu de paix après les épreuves.

Marc O.

On trouve toutes sortes de gens dans la cité. Nous avons un boxeur aveugle et un chauffeur de taxi très myope. Nous avons deux sœurs très âgées avec un berger allemand grisonnant qui aboie chaque fois qu'il entend le mot "journal". Nous avons des gens qui ramassent cent-vingt-trois litres d'airelles chaque automne et qui, malgré tout, réussissent à les manger entièrement Nous avons un myriades de petits verbes irréguliers qui grimpent aux gouttières, aux arbres, qui construisent des cabanes et cassent des carreaux. Nous avons des gens qui collectionnent les capsules, les boîtes d'allumettes et les sous-bocks, mais qui ne toucheront jamais un jeu de cartes parce que c'est impie. Il y a des gens qui bégayent et qui zézayent, d'autres qui n'ont aucune oreille et qui sifflent dans les escaliers, nous avons une dame avec un bec de lièvre et un père de famille qui achète une Moskvitch neuve chaque printemps, histoire de montrer sa foi dans l'avenir et dans les années soixante. Il y a des gens qui, le soir du réveillon, tire des feux d'artifice dans leur appartement, qui enfoncent des portes et qui s'ouvre le crâne sur le goudron. Nous avons même des gens qui votent à droite. Nous sommes un monde entier. Une planète qui orbite si doucement et si brutalement à travers les années soixante, cette décennie qui va métamorphoser un chapeau et un imper en un solo de guitare cinglant, la décennie où les hommes sont devenus des garçons et les mères de famille des femmes, la décennie qui a transformé la ville, passée d'un truc vieillot et usé avec la mémoire intacte à un machin moderne frappé d'Alzheimer galopant, la décennie de l'obsolescence programmée, du concassage social de la révolution culturelle norvégienne, lorsque le système de coordonnées lui-même est tombé en rade - tu pouvais envoyer un cochon au début des années soixante et, à la fin, récupérer une boîte d'allumettes. Une décennie surfaite, mensongère et incomprise, la mienne.

Le "tube" de l'époque qui revient à plusieurs reprises dans le récit.

Initialement publié sur le blog "Fils de lectures".

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M
Belle critique qui me donne envie de le lire. Merci
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