Regarde les lumières mon amour
Une archive télévisuelle diffusée il y a peu nous montrait l’arrivée dans la première grande surface des premiers clients, hésitants, ébahis, empruntés, comme submergés par la profusion, pionniers en quelque sorte. Il y avait là quelque chose de la sidération de ceux qui voyaient débouler sur eux ce train entrant en gare, transperçant l’écran, perforant le réel. Depuis ces temps innocents, les enseignes géantes sont consubstantielles aux paysages périurbains. Annie Ernaux, durant un an, a tenu la chronique de ses visites à l’hypermarché situé près de chez elle en banlieue parisienne. La banalité qui consiste à aller faire ses courses en tel ou tel hyper se passerait volontiers de mots. Pourtant la corvée même qui contraint chacun à remplir un chariot des diverses sollicitations marchandes, Annie Ernaux nous en parle de façon directe et subtile à la fois. L’abondance strictement administrée, le dressage social qui instaure la normalisation des comportements, qui conforte par le mode de consommation les postures sexuées (être fille, être garçon), tout cela clairement identifié et de longue date, pour autant ne résume pas « le génie du lieu ». Le regard d’Annie Ernaux, lucide, attentif, empathique, précis, sans complaisance mais solidaire, révolté et attendri, nous parle de communauté humaine, de souffrances intimes, de dignités heurtées, de ces petites joies qui, si elles ne fondent pas un grand sujet, méritent un beau livre. C’est précisément ce qu’elle nous donne.
Christian B
Annie Ernaux
Regarde les lumières mon amour
Collection Raconter la vie
Éditions du Seuil 2014