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Debout-Payé

Un debout-payé, c'est quelqu'un qui est payé pour rester debout. Un métier où l'on est payé pour rester debout et juste regarder, sans s'endormir, c'est celui de vigile, un des métiers qu'a fait Gauz et dont il parle avec un humour et un sens de l'observation redoutables.

Si les politiques et les comportements de la société française sont pointés du doigt, ce sont surtout les attitudes de tous les africains qui ont complètement intégrés et adoptés les représentations qui les concernent pour s'assimiler à leur colonisateurs qu'épingle l'auteur. Avec une précision d'anthropologue, ainsi qu'un humour et une ironie qui font mouche, Gauz nous fait découvrir le monde quotidien des immigrés que la loi transforme en "sans-papiers" condamnés aux petits boulots clandestins, ou pour le moins discrets. Il nous fait découvrir les différences entre ivoiriens, sénégalais, togolais... en jouant parfois lui même à jouer le rôle, le langage, les innombrables clichés qui les concernent et auxquels les blancs se soumettent parfois malgré eux, où la moindre bienveillance peut cacher mépris, rejet... et autres avatars du racisme ordinaire, même pas directement agressif.

Une partie du récit nous emmène sur les traces d'immigrés au fil des décennies et des politiques, de "l'âge de bronze" (années 1960-1980) à "l'âge de plomb" d'aujourd'hui, en passant par "l'âge d'or" (années 1990-2000). Nous découvrons ainsi la MECI (Maison des étudiants de Côte d'Ivoire) avec Ferdinand jusqu'au moment où surviendra la 1re crise pétrolière.

On rencontre aussi des figures militantes, plus ou moins imprégnées et habitées par les colères d'un Frantz Fanon, qui mettent le doigt sur l'alliance pour eux fondamentale entre colonialisme, racisme et capitalisme, surtout dans les temples de la consommation contemporaine. Pour les années récentes, notre guide sera Ossiri, qui semble bien ressembler à l'auteur et qui est sans illusion, certainement pas naïf, sur la place qui peut lui être accordée, celle qu'il peut prendre dans la société française d'aujourd'hui.

L'écriture alterne entre ces récits de vie d'immigrés, depuis les années 60 à aujourd'hui, et des saynètes captées dans quelques boutiques, notamment sur les Champs Elysées où les vigiles tiennent debout à longueur de journées. On y sourit et rit souvent, parfois jaune (on n'oserait pas dire noir!). L'auteur est aussi photographe et a été lui-même vigile. Son regard attentif et féroce n'épargne personne, même s'il est plus ironique et bienveillant que franchement méchant. Il y en a pour les noirs qui jouent aux blancs, pour les blancs et les autres, pour le commerce et sa publicité, etc. Gauz y fait preuve d'un indéniable talent, tant dans ce qu'il sait voir que dans sa façon de nous le raconter. Si vous fréquentez parfois de tels lieux, vous risquer fort de ne plus les voir avec tout à fait le même œil.

"Roman" nous dit la couverture. Peut-être. Mais il y a aussi de l'essai, de l'histoire, de la sociologie et de l’anthropologie ainsi que de la satyre dans ce debout-payé.

Une réussite qui nous donne fortement envie de pouvoir découvrir d'autres visages de cet auteur plutôt décapant.

Gauz - Debout-Payé - Le Nouvel Attila, 2014

Sur le site de l'éditeur

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