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Voilà un roman qui a peut-être échappé à une large diffusion lors de la rentrée littéraire 2014. Or il s’agit d’un excellent roman qui mérite d’être découvert.

« Orphelins de dieu » nous plonge en Corse du sud dans les années 1870, après la bataille de Sedan qui a fait tomber l’Empire sans que les paysans corses le sachent ; autant dire que nous sommes bien loin de ce « continent » qui n’a pas encore touché les montagnes reculées d’une Corse restée âpre . C’est une chronique de la violence, de l’immoral ; une histoire de vengeance. Vénérande, farouche paysanne, n’est que rage depuis que Petit Charles, son tout jeune frère, a été affreusement mutilé et défiguré par de sauvages brigands lors d’une razzia et qui, depuis, vit terré. On pense aussitôt au roman de Mérimée ; mais Colomba, Ange Colomba, de son vrai nom, c’est l’Infernu, bandit de terrible réputation qui accepte un ultime contrat réclamé par Vénérande dont seule la vengeance apaisera la colère.

Au cours de l’étrange chevauchée à travers les montagnes les conduisant vers les cruels assassins, l’Infernu, vieil homme malade, se livre à la confession sans concession d’une vie consacrée à la brutalité la plus infâme. Lui, Ange Colomba, tout jeune encore, s’enrôle dans l’armée des Patriotes, rebelles contre la colonisation française animés d’idéaux nationalistes. Mais la cause nationaliste perdue, ils deviennent des brigands vivant de rapines et de meurtres, « combattants orphelins de dieu », « êtres abominables et immoraux », semant la terreur entre Corse et effroyables marennes Toscanes, « orgie de sang qui fera honte à [leurs] descendants ». Ange déchu, Ange qui perd son âme en franchissant les cercles de l’Enfer, tels ceux de Dante, devenant ainsi créature infernale. A l’heure des bilans, il est loin de se voir en héros, semer la terreur ce n’était pas par exploit, c’était pour survivre. Lucide, retrouvant les valeurs morales, il n’attend aucune réhabilitation, aucune miséricorde. Et pourtant, ce récit poignant qui laisse entrevoir la part d’humanité qui a été sacrifiée, conduit à une rédemption possible, donnant au roman une dimension philosophique (on retrouve un des thèmes de Jérôme Ferrari, ami et traducteur de l’auteur, prix Goncourt 2012).

Sur fond d’histoire, cette fiction ne manque pas de renvois à notre présent ; ainsi elle laisse réfléchir sur les dérives d’une violence sans justifications politiques, religieuses ou nationalistes, abandonnant les idéaux qui suscitaient la rébellion. Roman complexe.

La force du roman tient aussi à sa puissance évocatrice pour décrire paysages et situations. « Je cherche à faire éprouver les choses de manière sensorielle, cinématographique peut-être ».Il fait « ressentir le poids des éléments, la véracité de chaque détail » et met « paysages et êtres en interaction » (extraits d’interview).Il y réussit de manière remarquable alternant sécheresse de la langue et lyrisme : langue qui fait frémir, langue qui bouleverse.

Pour mieux aborder les ressorts de ce roman dans toute sa dimension, il faut ajouter que Marc Biancarelli, pourtant imprégné de la culture corse (il a grandi et vit en Corse, il enseigne la langue corse), n’en est pas moins formé à d’autres influences qui ont fortement nourri son imaginaire .Dès sa jeunesse, il est intéressé par le cinéma (westerns, ceux qui déconstruisent les mythes fondateurs de l’Amérique) et les auteurs américains tels que Cormac Mc Carthy. Dans « Les orphelins de Dieu », on peut retrouver l’atmosphère de « True Grit » des frères Coen (thèmes de la vengeance, de l’incurie de la justice, des rebelles tombés dans le grand banditisme).

Ce roman est donc bien loin du romantisme d’un « Colomba »de P. Mérimée, contribuant à alimenter des mythes que Marc Biancarelli, entre autres, déconstruit dans ses écrits, s’attaquant aux contre- vérités qui ont occulté les réalités de l’histoire.

Il reste à préciser que Marc Biancarelli a écrit, en langue corse, des poèmes, des romans, du théâtre, ainsi qu’une « Histoire de la Corse ». C’est « Murtoriu », paru en 2012 chez Actes Sud, traduit par Jérôme Ferrari (cité plus haut) qui le fait connaître hors de l’Île. Le roman «Les Orphelins de Dieu », est le premier à être écrit en langue française. Une réussite.

J. Boisson

Orphelins de Dieu

Marc Biancarelli

Actes Sud

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