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L’œuvre de Patrick Modiano est d’une richesse à ce point reconnue et encensée qu’il serait certainement vain de se livrer à son propos à un énième éloge comme un surcroît de convention. Cependant l’unanimité n’est garante d’autre chose que d’elle-même. Combien de ces cohortes de recensions flatteuses n’ont- elles, le plus souvent, pour objectif caché que l’avide faim de reconnaissance de leur auteur ; Cioran nous aura suffisamment alertés à propos de la toxicité des exercices d’admiration sans y renoncer pour autant. C’est une affaire entendue, Modiano est un grand écrivain sans forcer le trait, il est certainement permis d’affirmer qu’il est de nos plus remarquables. Même si le consensus un peu béat attaché à son nom peut faire question…Les honneurs sont légion, une nuée. Pas une de nos institutions qui ne se flatte d’agiter l’encensoir. Modiano a reçu la distinction suprême, le très sollicité Prix Nobel. Soyons juste, pour ce qui est de la littérature, les jurés du dit Graal ont ces dernières années, de Imre Kertész à Herta Müller sans omettre le poignant poète aphasique Tomas Tranströmer , distingué des auteurs qui alimentent le vif plaisir de lire. Patrick Modiano ne souffrira certainement pas de ce voisinage. Il vient de nous donner son art poétique en l’occurrence son « Discours à l’Académie Suédoise ». Texte nécessairement bref, limpide, tout de sincère humilité. Combien il a dû lui en coûter d’avoir à le dire ! Lui dont la parole est si retenue tant il la voudrait la plus posée possible. Seul le mot, le mot juste ! Quel autre credo pour qui prétend écrire ? « Mais un écrivain, ou tout au moins un romancier, a souvent des rapports difficiles avec la parole » et encore « il a une parole hésitante à cause de ses habitudes de raturer ses écrits ». Qui d’autre aujourd’hui qu’un écrivain de cet envergure nous confiera ainsi ses doutes, son constant sentiment de s’égarer, sa lancinante insatisfaction. Ecrire «… c’est un peu comme être au volant d’une voiture la nuit sans aucune visibilité ». Lui, le parisien, l’enfant de l’Occupation, l’enfant de ce Paris « de mauvais rêve » qui bien plus tard trouvera dans de vieux annuaires les traces d’une « ville engloutie », les réminiscences du temps retrouvé, « l’herbe des nuits ». Lui qui s’émeut encore d’un poème de Yeats, reconnaissant, conscient de la filiation qui est la sienne et qui pour autant se garde bien d’insulter l’avenir. « J’appartiens à une génération intermédiaire et je serai curieux de savoir comment les générations suivantes qui sont nées avec l’internet…assureront la relève comme l’a fait chaque génération depuis Homère… » Lui, cet écrivain qui fit entrer dans nos bibliothèques des inconnus, La Petite Bijou, Dora Bruder, De Si Braves Garçons, occupants rêveurs d’une Villa Triste en un Quartier Perdu quelque part du côté Des Boulevards de Ceinture, nous suivons sans crainte de nous perdre ses pérégrinations …jusqu’à Stockholm. Sans prétendre à autre chose que le lucide instant du bonheur de lire quand bien même « … l’oubli finit par ronger des pans entiers de notre vie » (in Accident nocturne)

C Boisson

Discours à l'Académie suédoise

Patrick Modiano

Gallimard 2015

Discours à l'Académie suédoise
Patrick Modiano

Patrick Modiano

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