La langue des papillons
Si les personnages des nouvelles de Manuel rivas ne semblent pas tous avoir d'avenir, il ont tous un passé. Un passé parfois traumatisant, parfois ironique, souvent surprenant. La force évocatrice des récits nous plonge dans un univers d'ombre et de brouillard, entre terre et mer, où le climat et la pauvreté marquent profondément les vies et les caractères. Un monde où la vie et la mort peuvent jouer d'étranges jeux et où le fantastique peut devenir très ordinaire pour les hommes, les femmes et les enfants. Au cœur de la dureté simple de personnages entiers, il y a aussi place pour la chaleur des souvenirs.
Profondément ancré - et encré - dans les terres et la langue d'un pays, Manuel Rivas nous touche bien au-delà d'un quelconque régionalisme, nous emmenant des bas-fonds de nos pulsions et de nos peurs jusqu'aux territoires irréels de nos rêves. On y découvre comment la peur et le conformisme peuvent conduire à la haine de ceux que l'on estime et admire, quitte à ne plus jamais pouvoir s'estimer soi-même, hors la lâcheté (La langue des papillons) ou comment la présence d'un regard et d'un visage peuvent révéler et libérer celui qui cherche sa voie autant que sa voix (Un sax dans le brouillard). Il y a aussi chez certains personnages une humilité et une humanité qui savent désarmer la misère ou le temps qui passe en les assumant pleinement, sans plainte ni haine, d'une acceptation qui n'est pas que soumission (La flûte de pain ou La laitière de Vermeer). Entre terre et mer, et ombre et lumière, on peut aussi naviguer entre vie et mort les frontières peuvent devenir aussi incertaines et mouvantes que la limite des vagues (Le navigateur solitaire ou Que me veux-tu, mon amour?).
En matière d'écriture, Manuel Rivas maîtrise parfaitement l'art de la chute, si important lorsqu'il s'agit de forme brèves comme ces nouvelles (de 2 à 17 pages). Il le fait souvent avec un brin d'ironie, une ironie un peu sombre, mais pas vraiment noire. Conduit à la première personne ou par un narrateur extérieur, chaque récit nous plonge dans son propre univers et les liens se tissent petit à petit de l'un à l'autre par les climats, les couleurs, les tonalités. Chacune de ces voix se fond dans celle de l'auteur, nous donnant à entendre sa singularité, au delà des variations de style.
Les 19 nouvelles rassemblées dans ce recueil proviennent en fait trois recueils différents publiés en galicien de 1989 à 1999 (Un millón de vacas ; ¿Que me queres, amor? et Ela, maldita alma). Présentées dans l'ordre chronologique initial, elles permettent au lecteur attentif de ressentir les évolutions d'une écriture qui ne se repose pas sur des formules ou des trucs qui marchent, mais explore les variations de formes pour mieux nous emporter au cœur d'un monde cohérent et multiple, un peu inquiétant.
Signalons que la nouvelle qui donne son titre français au recueil a fait l'objet d'une édition galicienne (A lingua das borboretas, Ed. Galaxia, 2005) illustrée par Miguelanxo Prado, illustrateur et auteur de bandes dessinées publié chez nous (aux Humanoïdes associés et chez Casterman) ainsi que d'une adaptation au cinéma, par le réalisateur espagnol José Luis Cuerda (1999).
Manuel Rivas sera présent à la prochaine Comédie du livre de Montpellier, le dernier week-end de mai.
Marc O.
Manuel Rivas - La langue des papillons - nouvelles traduites du galicien par Serge Mestre et Ramon Chao - Gallimard, 2003
Article précédemment publié sur filsdelectures.net