Trois fois dès l'aube
Avec ce 11e roman (Tre volte All’alba - 2012), l’auteur de Soie , Alessandro Baricco, livre un curieux petit roman, ciselé comme un bijou .
Pour le présenter, il semble plus judicieux de reprendre les propos de Baricco lui-même, qu’il note en avant-propos :
« Ces pages racontent une histoire vraisemblable qui, toutefois, ne pourrait jamais se produire dans la réalité. Elles décrivent en effet deux personnages qui se rencontrent à trois reprises, mais chaque rencontre est à la fois l’unique, la première, et la dernière. Ils peuvent le faire parce qu’ils vivent dans un Temps anormal qu’il serait vain de chercher dans l’expérience quotidienne. Un temps qui existe parfois dans les récits, et c’est là un des privilèges. »
« Trois fois dès l’aube » est construit comme une pièce de théâtre( rappelant sans doute que Baricco est aussi un écrivain de théâtre célèbre), divisé en trois actes, chacun mettant en scène trois histoires nocturnes, trois rencontres, qui s’achèvent toutes à l’aube ,moment crucial où l’atmosphère est fantomatique . Le cadre est dépouillé, juste évoqué pour son pouvoir suggestif, comme cette entrée de l’hôtel où se déroule le premier acte :« il y avait une porte à tambour en bois, un détail propice aux fantasmes », ou encore :« l’aube se déployait dans le ciel pur avec une telle ardeur que même ces faubourgs sans prétention paraissaient surpris, finissant par céder à une quasi-beauté pour laquelle ils n’avaient pas été construits. » Les personnages étranges, solitaires, sont à peine esquissés, mais la force d’écriture brosse en quelques touches leur humanité. « Elle n’était plus très jeune, mais ça lui allait bien, c’est le cas parfois des femmes qui n’ont jamais douté de leur beauté » campe cette visiteuse énigmatique qui débarque en pleine nuit dans un hôtel, troublant les projets d’un inconnu englué dans un destin auquel il ne peut échapper. L’essentiel du texte est fait de dialogues, laconiques, à peine ébauchés, voire anodins, telles ces questions/réponses : « Désolé – Et l’autre – Qui – L’homme de votre maison -Ah, celui-là… ».Cette apparente simplicité, qui laisse même entendre les silences, ajoute une force particulière à l’ambiance mystérieuse, parfois hypnotique, qui flotte sur le récit.
Chaque rencontre forme un tout, recoupant cependant les autres récits dans une savante déconstruction temporelle. Et chacune aboutit, avec la clarté de l’aube, à un tournant dans la vie des personnages, destin scellé ou nouveau départ.
La jaquette de l’édition Gallimard, illustre parfaitement l’impression onirique qui caractérise cet excellent roman, rappelant un tableau de Hopper.
Récits captivants lus d’une traite…dont l’ambiance hante longtemps l’esprit du lecteur .
J Boisson
Alessandro Baricco, de formation philosophique et musicologique, est un écrivain qui connaît un grand succès en Italie par sa carrière de journaliste critique, ses émissions à la RAI, sa création théâtrale, ses essais en musicologie, et ses romans. Ses recherches en écriture l’ont porté à la création d’une école de narration à Turin, en 1994; il invente un style particulier qui mélange littérature, déconstruction narrative et présence musicale rythmant le texte telle une partition. Ainsi le groupe « Air » a crée un concert qui accompagnait la lecture qu’il a donnée de « City », l’un de ces récents ouvrages.
Il a reçu de nombreux prix dont le prix Viareggio en 1993, le prix Médicis étranger en 1995 (Les Châteaux de la colère)
Trois fois dès l’aube
Alessandro BARICCO
Traduit de l'italien par Lise Caillat
Éd Gallimard