ICI
La première de couverture d’ICI est une invitation : une fenêtre
La fenêtre franchie, on s’installe dans le coin d’une pièce , toujours la même, et on regarde ..
HERE, ICI ….
Mais où ? et quand ?
La fenêtre reste ouverte sur des ailleurs possibles, et la pièce s’impose comme une scène où les années défilent et se dilatent, où les temps se superposent, s’impriment et se chevauchent.
Un chat, une flèche traversent la pièce et les jours, fil narratif improbable suivant les personnages enfermés et déplacés dans leur vignette : 8000 ans avant J.C, ils se faufilent dans le paysage et trouvent leur place.
Parfois, le temps fixé par des photos de famille brouille les pistes : « Où en étions-nous ? » , et dans un jeu de pistes éblouissant McGuire sème des indices .
La couleur des rideaux, de la tapisserie, les éléments du mobiliers tentent de marquer le passage du temps, se heurtent à la permanence de la cheminée et de la fenêtre qui retiennent notre regard dans leur matérialité.
Puis, Mc Guire trouble nos repères, et nous vacillons devant l’étrangeté du puzzle à reconstituer, comme ces mouvements décomposés d’un petit garçon qui tente un équilibre solitaire : « Ne me regardez pas », dit-il, tandis que les adultes se soucient de ce qui va rester : « Que veux-tu qu’on retienne de toi ? »
Dans la pièce, l’empreinte de la répétition d’un rituel (l’arbre de noël par exemple) ou celle de la naissance d’un enfant, répondent aux pensées des personnages, fixées et pérennisées par le cadre d’une vignette.
Parfois ces cadres éclatent pour occuper l’espace-temps, et alors les murs de la pièce s’estompent et se font écran où tout défile.
Nous sommes pris dans un espèce de vertige puis ramenés dans la pièce qui parfois se vide pour provoquer l’attente d’un recommencement : un homme et une femme se souviennent, remontent le temps pour raconter leur première rencontre, peu importe à qui ils s’adressent, isolés dans leur cadre, le temps tourne autour d’eux, une biche traverse l’espace de la page depuis le XVIIème siècle, hors-champ une sonnerie annonce une intrusion qui résonne jusqu’en 1609, tandis que, depuis 1775, Benjamin Franklin fait remarquer à son petit fils : « La vie a le don de faire rimer les évènements »
Tout se répète. Alors, pour les personnages et leur passage, perdre un objet ou bien perdre la tête, perdre le contrôle de sa vie, quelle importance puisque leurs histoires se posent sur un paysage bleu et désertique daté de 500000 AV.J-C.
Nous sommes engloutis dans cette coulée de couleurs, emportés par le compte à rebours où le paysage évolue, jusqu’à réintégrer le cadre fixe de la pièce, en surimpression, comme pour nous permettre de faire le lien entre les choses et les hommes.
D’une page à l’autre les corps se répondent, avec cette « impression de déjà vu », des corps morcelés qui jouxtent le récit de rêves où l’on se perd, nous obligeant à des allers-retours incessants, nous naviguons ainsi dans un puzzle où chaque fragment compose poétiquement l’histoire, jusqu’à la fin de notre monde et vers un futur lointain où la vie continue.
ICI, merveilleuse métaphore sur le Temps dont nous sommes faits.
Un voyage fascinant.
M.M
ICI
Richard McGuire
Gallimard
ICI vient de recevoir le prix du meilleur album lors de la 43ème édition du festival d’Angoulême