BORN TO BE BLUE à Utopia
Dans le cadre de FESTIVAL JAZZ À JUNAS
Séance unique Jeudi 9 Février à 20h, suivie d’une discussion animée par Guy Lochard, initiateur des passerelles entre jazz et cinéma, Junas et Utopia
BORN TO BE BLUE
Ecrit et réalisé par Robert BUDREAU - Canada 2015 1h37mn VOSTF - avec Ethan Hawk, Carmen Ejogo, Calum Keith Rennie, Kevin Hanchard, Tony Nappo...
"Pour évoquer la mélancolie sulfureuse et l’aura si particulière du grand trompettiste, rien ne pourra sans doute égaler le magnifique documentaire que lui consacra Bruce Weber, Let’s get lost, sorti sur les écrans quelques mois seulement après le suicide à Amsterdam de Chet Baker, puisque c'est bien de lui qu'il s'agit : Weber, photographe de formation et de profession, avait réussi à rendre compte de toute la complexité de ce personnage fascinant et totalement singulier, et dressait un portrait sous forme d’hommage qui ne passait toutefois pas sous silence les multiples zones d’ombres du personnage.
Born to be blue est une fiction et la première – voire principale – difficulté était de trouver un comédien capable de transmettre à l’écran ne serait-ce qu'une parcelle de la force hypnotique du visage si particulier, traits saillants et regard fragile, du vrai Chet Baker. Et le pari est tenu, il y a quelque chose de bouleversant dans l’interprétation d’Ethan Hawke : sans vouloir à tout prix mimer Chet Baker, il parvient à retranscrire avec justesse le talent fou et la souffrance intime du musicien.
Le choix judicieux de n’aborder qu’une période limitée de la vie de Chet Baker, entre 1966 et 1973, période qui correspond à sa longue traversée du désert, donne au récit une force toute particulière et permet de condenser ainsi la singularité du musicien autant que les multiples contradictions de l’homme. Le scénario explore de manière subtile le passé de Baker (sa première femme, sa rivalité avec Miles Davis, la drogue…) puis s’attache assez rapidement à l’histoire d’amour avec sa seconde compagne, et sa tentative assez désespérée de résurrection musicale. On suit le couple en pleine errance et pauvreté, essayant de remonter la pente, l’un voulant retrouver sa gloire passée sans l’héroïne, l’autre tentant douloureusement de percer au cinéma.
Ethan Hawke incarne avec justesse l’immaturité et l’inconstance du personnage, en quête perpétuelle de reconnaissance et incapable à renoncer aux sirènes dangereuses de la drogue. La drogue (le speedball, mélange de cocaïne et d’héroïne), vecteur puissant de plaisir mortifère mais aussi moyen incontournable d’accéder à la musique.
Sans illusion bien sûr sur ces liaisons dangereuses, le film rappelle en filigrane que la défonce a fait partie intégrante de la vie de bien des génies du jazz, de Billy Holiday à Charlie Parker en passant par Miles Davis, ici montré comme l’éternel et génial rival de Baker. Tamisé de la même lumière bleutée – la classe pour un film en noir et blanc ! – que celle qui devait baigner les clubs de jazz de la Côte Est, Born to be blue assume avec élégance les promesses de son titre : un film sobre et touchant, bercé par la mélancolie d’un blues associé pour toujours à l’interprète de My funny Valentine."