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« Vient le jour où l’enfance prend fin. Cela fait longtemps qu’Herschel Grynszpan m’accompagne. Le projet d’écrire son histoire est né à la mort de mon père ». Les premières lignes de « Monarques » de Philippe Rahmy, publié à la Table Ronde.

Le récit embrasse plusieurs époques, des paysages différents (de Berlin à l’Egypte, en passant par Paris, l’Amérique et Tel Aviv sans oublier la Suisse, région natale de l’auteur), et histoires qui toutes, se mêlent les unes aux autres à la manière d’une matriochka, dont le cœur n’est indiscutablement autre que celui de l’auteur. Je dis cœur parce qu’après avoir terminé ce récit, Philippe Rahmy a nourri le mien, l’a épaissi, l’a gonflé d’Amour, oui, tant ce récit tend vers les réconciliations, tant ces pages éclairent, tant cette écriture fait de nous des hommes, et d’hommes des frères possibles.

Trois présences pourrait-on dire, l’arbre de l’auteur, cette généalogie de l’intime familial qui traverse les époques, dont l’enfant retrace l’histoire peut-être avec cette mort du père qui surgit lorsqu’il est loin de lui, une voix comme pour ne jamais le perdre en fin de compte. Celle d’un adolescent juif, Hirsch Feivel Grynszpan appelé par ses proches Herschel connu pour avoir assassiné le secrétaire de l’Ambassade d’Allemagne, Ernst von Rath dont l’assassinat servira de prétexte à la nuit de Cristal, et enfin, celle de la main, de l’écriture, ce « point sur une feuille blanche, immobile et verrouillé, mais ce point contenait un cercle qui ne demandait qu’à s’élargir ». Parce qu’il est bien question aussi dans ce livre de l’écriture : « Mes textes voulaient rétablir l’équilibre. Ils prolongeaient l’agonie de cet ami, de ce père, de l’amour vaincu par la mort. Ils étiraient l’espace et le temps, pour faire éclore un lieu et quelques heures, mais qui, utilisant la parole comme levier, ébranlaient une masse énorme, déverrouillaient l’impossible. J’inventais des histoires fragmentées, qui prenaient fin avant le terme réel des existences dont je refusais la disparition »

On pourrait ajouter l’amour aux autres personnages de ce récit parce qu’incontestablement, il épouse toutes les étapes du récit. Je pense à la figure du père nommé Adly, à celle de la mère, Roswitha dont les destins, un père égyptien et une mère luthérienne auraient pu être tout autres mais que l’amour a uni, allant probablement à l’encontre de ce qui semblait leur être écrit. Je ris à ces lignes « Mon père m’avait enseigné le Coran. Mahomet m’était sympathique. J’admirais les scènes de bataille du Prophète décapitant ses ennemis, identiques à celles de la bataille de Roncevaux, dont ma mère me faisait la lecture pour me ramener à la foi chrétienne, où Roland et les chevaliers coupaient hommes et chevaux mauresques en deux, dans le sens de la hauteur. Quant à la miséricorde du Prophète et à l’Amour du Christ, je leur préférais la leçon équivoque des divinités pharaoniques ». Je pense à cet adolescent, Herschel, qu’une lettre des siens aura peut-être fait basculer, aimer c’est aussi refuser, c’est aussi se lever, c’est aussi vivre mais surtout faire pour être vivant.  « Nous voulons vivre « Ils chantent, ils frappent sur des bidons, se tiennent par la main, défilent dans Tel-Aviv entre deux cordons de policiers. . Philippe Rahmy sait provoquer les rencontres, les rendre possibles, leur donner corps, peu importe les distances, qu’elles soient géographiques ou temporelles, elles ont lieu, parce qu’au terme de ce récit, je pourrais dire que d’une certaine façon, il m’a été donné possible de rencontrer Herschel, que je nomme comme les siens l’ont nommé.

Je referme ce livre en sachant qu’il sera toujours ouvert, qu’une présence s’est installée, que le nom de miséricorde a trouvé un autre compagnon, et je suis heureuse de cette rencontre : « Voilà ce qu’il m’est donné de faire, traduire le silence qui survit à la disparition des corps. Je recueille le secret d’un autre, je prends quelque chose en cours, comme on prend un train en marche ».

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