Judas
Écrit à la fin de sa vie (1939-2018), ce roman est emblématique des obsessions de l’auteur, depuis longtemps engagé dans le mouvement La paix maintenant, partisan de l’institution des deux Etats (l’un juif, l’autre arabe) sur la terre de Palestine. N’y retrouve-t-on pas le questionnement sur les contradictions du Sionisme et le danger du Fondamentalisme, déjà présentes dans d’autres ouvrages, comme Entre amis (ensemble de nouvelles qui traitent de façon réaliste des illusions de l’idéologie du kibboutz) ou encore Chers fanatiques, paru en 2017, qui appelle à lutter contre les excès qui gisent au plus profond de nous.
L’étudiant Schmuel Asch est sur le point d’abandonner sa recherche universitaire sur Jésus dans la tradition juive. Désabusé, sous le coup d’une déception amoureuse, il s’engage à tenir compagnie à Gershom Wald, un vieil homme fantasque passionné par la question arabe et l’histoire du sionisme. Schmuel va vivre dans sa maison durant trois mois, confrontant ses idées socialistes aux doutes de son interlocuteur. Au cours de cette période, il se trouve proprement envoûté par sa belle-fille, Atalia, de quinze ans son aînée, veuve du fils de Gershom, tué lors de la Guerre d’indépendance de 1948. Sans issue, sa relation avec les deux occupants de la maison se terminera avec le départ du jeune homme pour une ville à construire au sud d’Israël, où il espère un emploi de gardien de nuit ou de concierge dans une bibliothèque.
L’essentiel du roman tient aux interrogations de Schmuel tant à l’égard de son sujet de mémoire (sont largement relatés les travaux réalisés sur le sujet : Jésus y apparaît comme un Juif pieux désireux d’épurer le Judaïsme et non de fonder une nouvelle religion, ce qui représente plutôt le projet de Paul de Tarse et de Judas) qu’à propos de la trajectoire singulière du père d’Atalia, l’un des pionniers de l’Etat d’Israël, écarté par Ben Gourion en raison de son opposition à la création – qu’il juge archaïque – d’un Etat juif ainsi que de son amitié pour les Arabes palestiniens. En lisant ce livre si juste, on ne peut pas ne pas penser à cet autre immense écrivain israélien disparu la même année qu’Oz, Aharon Appelfeld, l’auteur de textes remarquables (Tsili ; Histoire d’une vie ; L’immortel Bartfuss ; L’amour soudain…). Sans oublier que sa lecture doit être complétée par celle de la bouleversante autobiographie de l’auteur de Judas (Une histoire d’amour et de ténèbres), où il est notamment question du suicide de sa mère de alors qu’il n’était âgé que de douze ans.
ML
Judas
Amos Oz
Traduit de l'Hébreu par Sylvie Cohen
Gallimard