Croire aux fauves
Natassja Martin est une anthropologue, spécialiste des populations arctiques, de leur cosmologie. Son premier ouvrage publié est un essai tiré de sa thèse de doctorat : Les âmes sauvages. Face à l'Occident, la résistance d'un peuple d'Alaska ( La Découverte 2016).
Son deuxième livre est un récit autobiographique, aux accents terriblement romanesques. Il tire son titre d'un texte de René Char : Comment se cacher de ce qui doit s'unir à vous ? L'autrice en retrouve les vers qu'elle a tracé dans un de ses carnets qui ne la quittent jamais. Le livre se termine sur ces vers, qui seront pour N.Martin le déclenchement du processus d'écriture.
Tout juste âgée de dix-sept ans, elle part en Alaska pour un petit boulot d'été, elle dit avoir toujours ressenti le besoin d'aller voir ailleurs. Et l'Alaska deviendra le premier terrain de ses recherches. C'est grâce au peuple Gwich'in des chasseurs-cueilleurs du nord-est de cet état, qu'elle partira quelques années plus tard à la rencontre d'un peuple qui vit au Kamtchatka, « près » des Gwich'in, puisqu’ils sont de l'autre côté du détroit de Béring. Pour l'autrice il faudra accomplir un tour du monde complet pour les rejoindre.
La famille des Evènes dans laquelle elle s'est si bien intégrée - c'est devenue sa deuxième famille - a décidé de retourner vivre au fond de la forêt, quand l'empire soviétique s'est effondré , afin de renouer avec les pratiques ancestrales et leurs rites animistes. On la baptise Matuka, Ourse en langue évène, car elle est grande, blonde, et que ses rêves sont souvent peuplés de rencontres avec l'animal. Daria, son amie chamane prend cela très au sérieux. La jeune scientifique se trouve débordée par ses rêves, et la promiscuité obligée d'un habitat réduit, au fond de la forêt . Elle décide un périple en montagne pour y retrouver une forme de solitude nécessaire à sa réflexion.
Croire aux fauves nous plonge d'emblée dans l’événement majeur de ce récit, qui sera si déterminant pour la suite de la vie de N.Martin : sa rencontre avec un ours qui l'a attaquée, défigurée. Ce livre n'est pas un essai sur la résilience ! Il est bien plus que cela, une réflexion sur le mythe qui rejoint le réel, le rêve qui devient moins vrai qu'une réalité, cruelle douloureuse, jusqu'à l'invraisemblable .
Accepter ce voyage aux confins du monde et de la souffrance, c'est entrer dans un récit hypnotique, à l'écriture précise, comme peut l'être celle d'une scientifique, mais aux couleurs, aux senteurs, aux mots et aux silences d'une terre et d'un peuple passionnément aimés et respectés par l'autrice dont le désir de vivre et la volonté de continuer ses recherches sont vertigineux.
"L'ours est parti depuis plusieurs heures maintenant et moi j'attends, j'attends que la brume se dissipe. L steppe est rouge, les mains sont rouges, le visage tuméfié et déchiré ne se ressemble plus . Comme aux temps du mythe, c'est l'indistinction qui règne, je suis cette forme incertaine aux traits disparus sous les brèches ouvertes du visage, recouverte d'humeurs et de sang : c'est une naissance, puisque ce n'est manifestement pas une mort. "
MLMT
Croire aux fauves
Nastassja Martin
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