Histoire d'une baleine blanche
« Je voudrai finir ma vie dans cette île » confiait Luis Sepúlveda alors qu’il retrouve l’archipel de Chiloé, au sud Chili, et le volcan Corcovado qui profile à l’horizon son cône pointu . Le 16 avril dernier, c’est en Espagne qu’il s’est éteint, touché par le covid 19. En 1996, il s’était installé à Gijón : « Cette côte, la mer, cette ville…je me suis senti aussitôt chez moi » ; là, il a renoué avec le besoin de patrie ; car la patrie, reconnaît-il, ce n’est pas le pays natal, c’est la langue maternelle, l’espagnol qui avait été mis à distance dans l’exil.
Rendons hommage à Luis Sepúlveda en évoquant son tout dernier roman, La historia de una ballena blanca . Roman? conte ? « Una novela para los jovenes de 8 a 88 anos » indique la couverture de l’édition espagnole. La baleine blanche, animal mythique du Peuple de la Mer, au large de la Patagonie, raconte son histoire .Elle « parle » des hommes venus d’ailleurs, s’étonne de découvrir qu’ils sont la seule espèce à se détruire ente eux ; elle « parle » de son monde marin, des combats avec les baleiniers, de ce pacte mythique qui lie les baleines aux autochtones. Ce sont elles qui transportent les morts depuis la côte jusqu’à l’île sacrée de Mocha afin que leurs âmes attendent la fin des temps. C’est pour honorer ce pacte, que la baleine blanche protège ce passage en traquant les baleiniers qui s’adonnent à de terribles tueries contre son espèce depuis que la graisse de leur ventre « sauve l’homme de l’obscurité ».
Donner voix à la baleine blanche, met l’auteur à distance, ce qui renforce le récit en le rendant plus fort et émouvant .Tout le texte est empreint de poésie pour évoquer le silence de l’immensité des profondeurs obscures, les tristesses qui unissent étroitement les baleines, leurs échanges œil contre œil, ce langage qu’on entend passer par les yeux ; on partage la douleur quand des harpons percent les poumons et l’immense tristesse du Peuple de la Mer qui déplore la disparition de leurs traditions, de leur identité. En écoutant la baleine, plane le souvenir de Moby Dick, les baleiniers ne l’appellent-ils pas Mocha Dick ? Mais, ici, le point de vue de l’auteur qui renverse le regard, est tout autre…
Ce conte, qui s’appuie sur les mythes des peuples autochtones du sud, est l’expression du talent littéraire de Luis Sepúlveda et de son engagement inlassable dans les combats pour la sauvegarde de l’environnement et des espèces menacées , pour la défense des droits des peuples autochtones , notamment les Mapuches ou les Indiens Shuars avec qui il a vécu toute une année, séjour qui lui a inspiré Le vieux qui lisait des histoires d’amour.
Raconter c’est aussi résister, disait-il. Oui un livre de résistance, un beau livre avec ce dernier écrit, traduit par Anne Marie Métailié (septembre 2019), enrichi par les belles illustrations de Joëlle Jolivet.
JB
Histoire d'une baleine blanche
Luis Sepúlveda
Traduit de l'espagnol par Anne-Marie Métailié
Ed. Métailié