Un barbare en Asie
Nous connaissions le peintre et le poète, le Michaux des expériences sous substances, moins peut-être le baroudeur de l’extrême. De l’extrême Orient en l’occurrence ici. Un barbare en Asie est le récit d’un voyage qui l’a mené de l’Inde en Malaisie, à Ceylan, au Japon, et jusque dans l’Himalaya, dans les années 30. Plus qu’un carnet de voyage, c’est le carnet d’un voyageur. Un voyageur qui se livre entièrement et sans fausse pudeur à son expérience de l’étrangeté, avec un regard porté sur les êtres et leurs si différentes coutumes, souvent brut, parfois brutal, autant que sensible parce que tout le bouscule. C’est aussi le carnet d’un voyageur idéal, qui parvient à rester dedans et dehors en même temps, à réaliser ce tour de force que d’à la fois plonger sans retenues dans le grand bain des foules et des perspectives sans limites, tout en gardant sur ses réactions et jugements une sorte de regard en coin facétieux et moqueur. D’où cet humour qui fait constamment frémir les lignes, ce second degré délicieux, comme l’indique déjà le titre.
« L’indien n’est pas séduit par la grâce des animaux. Oh! non, il les regarde plutôt de travers.
Il n’aima pas les chiens. des êtres de premiers mouvements, honteusement dépourvus de self-control.
Et d’abord, qu’est ce que c’est que tous ces réincarnés ? s’ils n’avaient pas pêchés, ils ne seraient pas chiens. Peut-être, infectes criminels, ont-ils tué un Brahme (en Inde, bien veiller à n’être ni chien, ni veuve). »
Michaux livrera dans une préface de 1967 tout le mal qu’il a à assumer cet ouvrage de jeunesse, et le mal encore plus grand à y apporter des modifications : « Ce livre qui ne me convient plus, me heurte et me fait honte, ne me permet de corriger que des bagatelles le plus souvent. Il a sa résistance, comme s’il était un personnage. Il a un ton. A cause de ce ton, tout ce que je voudrais en contrepoids y introduire de plus grave, de plus réfléchi, de plus approfondi, de plus expérimenté, de plus instruit, me revient, m’est renvoyé … comme ne lui convenant pas.
Ici, barbare on fut, barbare on doit rester. »
Un compagnon de qualité pour cet été 2020, pour réparer les contours - pertes ? profits ? - de nos rêves d’horizons lointains.
SD
Un barbare en Asie
Henri Michaux
L’Imaginaire - Gallimard