J'ai réussi à rester en vie
Nous sommes habitués aux nombreuses nouvelles et romans de J. C. Oates. Avec J’ai réussi à rester en vie, c’est un autre genre littéraire qu’elle nous propose, qualifié par l’éditeur de « récit », entre essai et autobiographie (si ce genre existe ? Mais peut-être qu’ici justement on peut tenter le terme d’autobiographie pour ce récit de la mort de son mari, et sa lente reconstruction).
Le 16 février 2008, après une semaine d’hospitalisation et un état de santé qui semblait s’améliorer, Raymond Smith disparait brutalement laissant son épouse effondrée. Tout le livre ne traite que de cela, ce deuil, cette disparition inattendue, cette perte incommensurable, ce veuvage, la perte de Ray qui devient le drame de son existence. Et C.J.Oates nous emmène avec elle dans les tréfonds de sa douleur avec douceur, humanité, courage et vérité, sans exhibitionnisme. Elle a ce talent qui nous met en position de la suivre sans jamais faire de nous des voyeurs de son malheur.
Leur couple qui aura duré près de cinquante années, fait d’amour et d’amitié, de compagnonnage et de collaboration professionnelle, de partage de la vie quotidienne émerge progressivement sous sa plume après la mort de Ray, et si ce texte met en valeur une vie conjugale longue, exemplaire pourrait on dire, il donne une large place à l’amitié car dit-elle, elle n’a pu survivre à ce chagrin que grâce à ses amis, dont elle publie au fil des chapitres des échanges courriels ou épistolaires. Ce livre sur la mort de son mari est aussi un livre sur l’amitié.
Toujours au bord de sombrer, s’interrogeant sur les moyens artificiels de survivre (faut il prendre des somnifères quand le sommeil a lui aussi disparu ? Des anti dépresseurs quand le goût de la vie est parti ?) elle se tient devant nous, à la fois effondrée et terriblement droite, honnête, sans fard mais avec pudeur. Elle sait tenir cet équilibre entre tout dire et nous laisser entrevoir sa douleur. Et petit à petit, au fil des six mois que couvre ce récit, comme une spirale qui doucement l’entraine, la lumière entre, elle sort de sa nuit, s’efface et fait place à son mari, s’interroge sur l’homme qu’il a été et dont elle se demande si elle l’a finalement si bien connu, bien que partageant son intimité et sa vie professionnelle depuis des dizaines d’années. C’est aussi le moment où elle se décide à retourner dans le jardin qui était son domaine. C’est le printemps, les herbes ont poussé, elle se demande que faire de tout cela.
J.C. Oates dans son enfance a vécu dans une ferme, a côtoyé des animaux et c’est vers cela qu’elle se retourne et qui semble la sauver, à coté de ses amis : ses chats et des plantes qui vont faire repartir son jardin, non plus celui de Ray, mais le sien. Jolie métaphore de la vie qui reprend.
C’est un récit tout en délicatesse, sans exhibitionnisme ni complaisance, qui sait manier l’humour, nourri d’une langue légère et fluide, un voyage dans la perte de l’être aimé et la renaissance, un roman d’amour.
N.B
J’ai réussi à rester en vie
Joyce Carol Oates
Traduit de l'anglais (États-Unis) par Claude Seban
Ed. Philippe Rey