Les deux Beune
La Grande Beune (déjà parue en 1996), est un journal ahurissant, qui nous plonge dans l'univers rural, hivernal, où le narrateur jeune instituteur dans les années soixante, arrive. Dans ce village du Périgord, il va loger chez Hélène: « vieille et et massive comme la sibylle de Cumes, comme elle réfléchie » - le seul café-hôtel du coin. Comme toujours la prose de Michon est habillée de métaphores fastueuses, ses descriptions sont semblables à la peinture de ces tableaux hollandais où les ciels et la terre semblent se confondre, linceuls sales et blanchâtres, envahis de personnages : « toujours la pluie ou ce brouillard avec des gens dedans ».
Dans ce village aux grottes préhistoriques, c'est l'obsession impudique et violente du jeune instituteur pour la belle buraliste qui s'étale. Dès la première rencontre il ne peut détacher ses regards ou ses pensées de cette femme. « C'est peu dire que c'était un beau morceau .Elle était grande et blanche, c'était du lait ». Ainsi, tout au long de ce récit et de l'hiver, suivra-ton ce jeune homme abruti de désir qui court les bois, et les bords de la Beune aux trousses d'Yvonne ; et le génie de Michon mêle des mots du sexe de la pêche, des digressions savantes sur les peintures rupestres, nous laissant , comme le narrateur, suspendus à une rencontre fantasmée.
A la suite, la petite Beune qui a été écrite presque trente ans plus tard, est plus âpre et le narrateur ne craint pas de se peindre grotesque . Yvonne trône en reine au centre du cercle des hommes et femmes du village ( tant de magnifiques Vies minuscules...) , et le narrateur tel les chasseurs- cueilleurs qu'il évoque, ne lâche plus sa proie, s'enhardit, et ne trouve plus Yvonne si grande, mais vulnérable car offerte . Il y a une tension plus forte, il faut en finir, en beauté ! « L'accouplement est un cérémonial, s'il ne l'est pas c'est un travail de chien » .
Écrire sur les mots de Pierre Michon, demande de braver l'embarras, la crainte de ne pas bien servir cet auteur si rare, et dans son expression, et dans ses parutions . Le lire est parfois exigeant, mais c'est un privilège dont il ne faut pas se priver. Ouvrir ce livre, lentement le parcourir et se laisser aller à la magie littéraire de ce grand écrivain.
MLMT
Les deux Beune
Pierre Michon
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