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Il y a un an paraissait un livre sur la Russie de Laura Poggioli : Trois sœurs (éd. Iconoclaste). Il traitait des violences intra-familiales et dressait un portrait sévère de la Russie.  C’était une française qui regardait la Russie, donc un pays étranger, même s’il lui était très familier.

Ici c’est un autre point de vue, celui d’une russe sur son propre pays, pays qu’elle a quitté enfant, avec ses parents chercheurs, l’exil étant pour cette catégorie sociale une échappatoire, souvent légitime, à d’autres représailles plus dramatiques.

Ainsi l’enfant Diana découvre-t-elle la France à l’âge de 8 ans environ, dans la banlieue de Nancy, où son père puis sa mère ont retrouvé des postes de chercheur. Elle découvre alors un espace public fait de douceur, de tranquillité et la paix, comme la possibilité de traverser un jardin public et d’aller à l’école sans crainte d’être agressée. Elle découvre aussi la propreté, le confort, l’accès à des produits de base tels que des fruits et des légumes. Nous sommes dans les années 90. Mais elle fait aussi l’expérience du racisme, de l’exclusion. Dans ses propos on retrouve des thèmes développés par Julia Kristeva ou Azouz Begag : les exils se ressemblent, l’ostracisme, le rejet procèdent des mêmes phénomènes. L’étranger… est étrange donc menaçant.

Malgré cela la France est pour elle un pays d’élection, et quand elle découvre Paris quelques années plus tard elle s’y sent immédiatement à son aise. Jamais elle ne retournera vivre en Russie dont elle fait un portrait au vitriol,  rejoignant d’autres écrits comme celui de L. Pogglioli.

D. Filippova a choisi définitivement la France, et la langue française qu’elle fait sienne. Elle  décide qu’elle n’est plus russe et refuse d’apprendre le russe à ses enfants.  La question de la langue est une question politique, et choisir l’exil dans une langue est peut-être le pont ultime de sa rupture d’avec ses origines, au-delà du symbole. D. Filippova a décidé de vivre dans la langue française et de faire vivre ses enfants dans cette langue alors que pour ses compatriotes  « le russe n’est pas simplement la condition ou le medium de l’éducation, il est l’air sans lequel la Russie ne peut se respirer, se comprendre, se pratiquer » ; mais cette langue «  peut dire le faux tout en sonnant vrai ».  Elle nous propose alors une analyse de la langue russe qui est faite de laideur et de vacuité et qui maintient loin du réel. Des écrivains ont choisi d’écrire dans une autre langue que leur langue maternelle : Nabokov écrit en anglais, Senghor en français etc. Exilés et transfuges de langue : ce sont des chemins nécessaires à la survie semble t’elle dire.

Sa pensée est bouillonnante, excessive, quelquefois un peu dispersée, mais nécessaire et stimulante. Si le titre peut paraitre maladroit, la réflexion est solide et nous emporte.

Le contexte de l’agression de l’Ukraine par la Russie nous invite à chercher, à comprendre, notamment par la bouche des russes, cette société russe. Cet ouvrage critique nous offre un portait sans concession de la Russie qui peut aussi  nous éclairer sur ce conflit.

N.B

De l’inconvénient d’être russe

Diana Filippova

Albin Michel

 

De l'inconvénient d'être russe
Diana Filippova

Diana Filippova

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