Propre
Dans une salle vide, peut être dotée d'un miroir sans tain, Estela raconte. On ne sait qui l'écoute : des policiers, des médecins ? On ne sait où elle se trouve : dans un commissariat, dans un hôpital psychiatrique ? A 33 ans, elle est arrivée du Sud du pays, de l'île de Chiloé où la vie est rude, pour trouver du travail, contre l'avis de sa mère.
Engagée comme “nana” (nom qu'on donne aux domestiques à demeure au Chili) depuis 7 ans, elle a été au service d'un couple aisé, logée dans “la pièce du fond”, pièce inconfortable à côté de la cuisine. Ses employeurs l’ont appelée Nana, gommant son prénom. Elle a assumé toutes les tâches attribuées dès son arrivée : ménage, repassage, lessive, couture, cuisine, courses etc, vêtue de son uniforme comme c'est l'usage (un pour chaque jour) y compris dans la rue pour être bien repérée comme « nana ».Des journées de travail interminables, sans répit. Engagée juste avant la naissance de “la petite”, elle va aussi devenir nourrice et donc prendre soin de cette enfant étrange, qui apprend vite, qui est capable de violences verbales et physiques, qui refuse souvent de manger, qui observe les êtres et le monde qui l'entoure avec un regard curieux, parfois inquiétant, une enfant qu'elle va aimer néanmoins. 7 années d'abnégation s'écoulent, 7 années sans revoir sa mère, 7 années au bout desquelles “la fillette meurt”.
Stella évoque dès les premières pages la mort de l'enfant à l'âge de 7 ans et livre ensuite son récit du quotidien, de l'enchaînement des faits, soit anodins, soit tragiques, d'incidents, de souvenirs de sa vie à Chiloé, de rencontres. Le mystère plane quant à la tragédie de la mort de l'enfant.
Le monologue d'Estela retrace les étapes menant au drame. Peut-être l'autrice met-elle un peu trop d'emphase, de circonvolutions dans ce récit, puisqu'il s'agit d'un faux suspense
, puisque nous savons dès la deuxième page que “la fillette meurt”, mais en le situant à Santiago, lieu de grandes manifestations et d’émeutes en 2009, son roman prend ainsi une dimension sociale, mettant en évidence les fractures sociales de ce pays. Estela est une “nana” symbole des Chiliens venus à la capitale pour échapper à la vie très rude dans le sud du pays. Ses employeurs ne sont pas des tyrans, ils ont quelques belles attentions à son égard de temps à autre, mais celles-ci ne peuvent gommer l'accumulation d'infinies brimades et de mots blessants, d'attitudes parfois brutales sur le plan humain. Propre est le récit du destin d'une femme à qui tout a échappé, qui n'a pas su rejoindre sa mère à temps, qui s'est laissée écraser. De quoi est-elle responsable ? De quoi est-elle coupable ?
M.P
Propre
Alia Trabucco Zerán
Traduit de l'Espagnol par Anne Plantagenet
Robert Laffont
Prix Femina étranger 2O24