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10 Mai 2025
Après avoir écrit Une chambre à soi publié en 1929 , Virginia Woolf a mûri durant de longues années ce « roman-essai », qu'elle écrit finalement en 1938. Après un travail au long cours de recherches, de prises de notes pour développer sa pensée féministe, elle choisit d'écrire un texte sous forme pamphlétaire.
Il faut se replacer dans le contexte géopolitique de l'époque : C'est la guerre civile en Espagne où son neveu Julian Bell a trouvé la mort en 1937. La seconde guerre mondiale se prépare, et l'Angleterre voit l'arrivée de nombreux réfugiés venant d'Espagne, d'Allemagne, d'Autriche... On peut citer Stefan Zweig, Sigmund Freud à qui Woolf rendra visite.
Dans un échange fictif épistolaire, un homme écrit à la narratrice afin qu'elle l'aide à résoudre cette grave question : « Comment pouvons-nous empêcher la guerre ? ». Puis une femme trésorière d'une association écrit pour lui demander de l'argent afin d'aider à reconstruire le Collège d'une université. Enfin, la dernière sollicite également un don, pour que les filles d'hommes éduqués, puissent étudier afin de pouvoir gagner leur vie.
La narratrice répond trois ans après avoir reçu cette lettre d'un homme, avocat d'âge mûr qui lui demandait comment faire pour empêcher la guerre. Commençant par décrire le monde éduqué auquel l'homme appartient, elle souligne qu'elle est du même monde, mais chacun parle des deux côtés d'une rive qu'un abîme sépare. Elle va ainsi méthodiquement décrire cet abîme, reprenant historiquement comment depuis des siècles les familles investissent financièrement pour éduquer les fils au détriment des filles. Elle montre que les femmes des familles riches ont de tous temps versé leur argent pour payer l'éducationde leurs fils ou frères. (Elle-même n'est jamais allée à l'université). Quant à la guerre , comment les femmes pourraient-elles en débattre, elles à qui l'on a refusé l'éducation à la philosophie,à la théologie, à l'économie, à la politique ? (Les femmes ont le droit de vote depuis 1918, et à pratiquer toutes les professions depuis 1919 au Royaume Uni). Sans doute faut-il donner une Guinée à cette femme qui veut participer à la reconstruction d'un Collège. Aider les filles d'hommes éduqués à étudier, mais quelle éducation reçoivent-elles ?
Depuis plus de 500 ans l'Angleterre est gouvernée par des hommes qui ont des savoirs universitaires, c'est à cet enseignement là que les femmes accèdent. Ce savoir qui n'a pas stoppé les hommes dans leurs entreprises de conquêtes guerrières, mais qui les autorise à accuser les femmes de n'avoir rien changé au monde, alors que depuis seulement moins de vingt ans, elles ont un accès libre à la vie publique !
L'avancée est cependant recouverte d'un voile, car malgré la loi, les femmes continuent d'être empêchées. L'enquête minutieuse de VW met au jour qu'elles sont victimes d'un plafond de verre, qui les cantonne au plus bas des emplois dans la fonction publique, ainsi que dans l'acquisition de titres universitaires.
Prenant appui sur de nombreux écrits masculins qui déplorent la liberté que les femmes ont obtenu après la première guerre mondiale, citant des articles du Daily Telegraph, d'H.G.Wells ou d'Hitler, elle note que anglaise ou allemande, la pensée masculine à l'égard des femmes est paternaliste, méprisante, dictatoriale. Ainsi, l'éducation qu'elles reçoivent et recevront ne pourra pas ne pas être entravée par la pensée et les diktats masculins.
« Think we must, Pensez nous le devons » assène V .Woolf aux femmes. Faut-il donc genrer la pensée intellectuelle ? Certainement n'en penser pas moins .
Bientôt quatre-vingt dix ans après sa parution, ce texte est d'une actualité brûlante. Comment ne pas penser aux femmes iraniennes, afghanes, et aux combats que doivent toujours mener les femmes dans le monde occidental, contre l’oppression des hommes, la violence sexiste et sexuelle, et les mouvements masculinistes qui sont en essor pour lutter contre MeeToo ?
Dans la dernière édition de ce livre à l'écriture tour à tour colérique, ironique, caustique, parfois drôle pour dénoncer l'aberrant, on trouvera à la fin de l'ouvrage des pages et des illustrations tirées des carnets préparatoires de V. Woolf.
Elle y écrit quand elle a terminé son travail : « Un livre que je ne regarderai plus jamais. Maintenant je me sens entièrement libre. Pourquoi ? Je me suis engagée ».
Ce livre sera le dernier publié de son vivant.
MLMT
Trois Guinées
Virginia Woolf
Éditions Le bruit du temps
Traduction Cécile Wajsbrot