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Les Amis du Grain des Mots

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Allô la Place

Nassera Tamer est née au Havre en 1982. Son père est arrivé en France dans les années 60, puis sa mère quelques années plus tard, avec les quatre frères aînés de Nassera, qui est la petite dernière de la fratrie. Élève brillante, elle a quitté Le Havre pour étudier le droit à Paris, ce qui a constitué un premier élément de fracture avec sa famille. À l'issue de ses études, elle est devenue avocate dans un grand cabinet parisien. Elle est maintenant juriste d'entreprise. Un parcours où le besoin d'écrire s'est insinué jusqu'à l'inscription au master d'écriture de Paris 8. Ce livre est présenté comme un premier roman, mais il s'agit plutôt d'un récit personnel selon l'autrice, récit qui mêle interrogations, souvenirs, prises de position, analyse politique et sociétale. Les éléments biographiques sont là pour soutenir la réflexion. L'autrice a déclaré vouloir travailler l'articulation entre sa trajectoire intime et des réalités sociales plus larges.
Le fil rouge du récit est le darija, arabe dialectal du Maroc, langue des parents de l'autrice. Celle-ci relate sa reconquête de cette langue qu'elle ne pratiquait presque plus, du fait de l'éloignement de sa famille repartie vivre au Maroc. Elle voudrait pouvoir communiquer à nouveau avec ses parents, elle ne cesse de s’interroger sur son incapacité à parler avec sa mère au téléphone. Elle cherche où prendre des cours de darija dans Paris, sans succès, puis elle trouve un site de conversation en ligne. Elle a de nombreuses propositions faites par des hommes, et finit par répondre à une personne dont le pseudo est Mer. Meriem peut-être ? Commence alors pour l’autrice un long et difficile processus de réappropriation de la langue grâce à cette jeune femme qui vit à Casablanca.
Parallèlement, l'autrice parcourt les rues de certains quartiers de Paris, espérant entendre des personnes qui parleraient le darija. Elle fréquente également les Taxiphones sous divers prétextes, pour tenter là aussi de trouver des occasions de s’exprimer en darija. Ces boutiques en perpétuelle transformation sont des lieux emblématiques des milieux de l'immigration. Les téléphones portables ayant supplanté les cabines téléphoniques, ces échoppes proposent de multiples services.
Au fil du texte l’autrice insère des affiches collées sur les vitrines de ces boutiques, énumération hétéroclite de tout ce qu’on peut y trouver outre le matériel téléphonique ou informatique : pince coupante, tapis de jeu, décoration de nouvel an chinois, tournevis, briquet, boisson fraîche etc... “Ces sémaphores portent l’ailleurs, le passé, l’avenir, ici et maintenant” écrit l’autrice. Allô la place est l'une de ces boutiques, qu’elle connait depuis les années 2000, quand elle s'y rendait pour téléphoner à ses parents, lien entre le passé et le présent.
Ces deux démarches permettent à Nassera Tamer de réfléchir, d'ouvrir des brèches dans les préjugés sur l'immigration. Elle se souvient du racisme de certains enseignants à l'école primaire, des efforts qu'elle a dû faire pour prononcer correctement le français, ses modèles étant les actrices Fanny Ardant ou Carole Bouquet. Et elle se souvient également d'avoir rejeté le darija par honte. Elle évoque aussi son dilemme entre attachement familial et envie d'émancipation. Elle s'interroge sur sa place (ce qui la renvoie à “Allô la Place”....) dans la société en tant que fille d'immigrés, sur la notion de transfuge de classe, elle éprouve colère et souffrance de n'appartenir ni aux siens ni au milieu bourgeois où elle évolue ( Par exemple elle rapporte le conseil donné par un de ses collègues du cabinet d’avocats parisien de gommer son accent : accent d'enfant d'immigrés ou accent normand ?)
On trouve donc dans ce récit une charge politique et sociétale mais aussi une approche intime des relations familiales à travers l'évocation de l'incommunicabilité entre une fille et sa mère aux causes multiples, leur incapacité de se parler au téléphone, que l’autrice ne cesse de questionner sans trouver de réponse.
C’est un récit à l’écriture soignée, Nassera Tamer est une autrice à découvrir. Elle a déclaré qu’elle ne savait pas si elle continuerait à écrire, trop étonnée pour le moment d’être beaucoup sollicitée pour des rencontres ou des entretiens avec des journalistes.

M.P

Allô la Place

Nassera Tamer

Verdier

Allô la Place
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