La discrétion
Pierre Zaoui fait partie de la génération actuelle de philosophes qui veulent ouvrir leur discipline à de nombreux domaines de recherche. Il collabore d'ailleurs à la revue Vacarme qui aborde aussi bien les thématiques sociales et politiques que les thématiques culturelles et artistiques.
Cet essai paru en 2013 (son 5ème ouvrage) en constitue un exemple particulièrement réussi.
L'auteur essaie d'abord de dresser la généalogie succincte - mais éclairante - de la notion de discrétion en remontant à ses sources grecque et monothéiste. Mais il va vite s'interroger sur la modernité de cette « invention », en convoquant aussi bien les penseurs de référence comme Maitre Eckhart, Nietzsche, ou Spinoza que des écrivains-phares du 19 et 20ème siècles : Kafka, Baudelaire, Proust, Blanchot….
Mais attention ! Il ne s'agit en aucun cas d'un exposé théorique de « spécialiste », même si l'exigence de rigueur philosophique demeure constante.
Au contraire, il s'agit d'une analyse très vivante - un véritable régal de lecture - où chacun
se sent immédiatement concerné et directement interpellé.
La discrétion - dans son acception actuelle - correspond pour lui à la joie de cesser d'être un sujet empli de lui-même pour simplement se laisser être , se mettre « en retrait » pour retrouver une présence pleine au monde.
Se déprendre de soi, comme l'on se retrouve anonyme dans la foule et que l'on jouit d'autrui sans être soi-même vu, ni confronté aux injonctions et aux responsabilités sociales.
Signe des temps du besoin d'échapper à l'enfermement dans un statut trop lourd à porter ? Le sociologue David Le Breton vient de faire paraître aux Editions Métaillié l'ouvrage « Disparaitre de soi : une tentation contemporaine ».
Cependant, la méthode et le sujet d'étude des deux auteurs ne sont pas identiques. Pierre Zaoui insiste sur l'idée positive que la discrétion ne renvoie qu'à une disparition temporaire et discontinue de l'ego, alors que David Le Breton s'intéresse à une démarche plus radicale, la » passion d'absence » pour des gens « touchés par la blancheur » et où le retrait devient dans ce cas un véritable hiatus avec la société.
Ajoutons que le livre de Pierre Zaoui est émaillé de très belles formules et peut se lire quasiment d'une traite. Il ne fait d'ailleurs que 150 pages , discrétion oblige !
N Bouchacourt
La Discrétion
Ou l'art de disparaître
Pierre Zaoui
Éditions Autrement