Ton absence n'est que ténèbres
Il reste très souvent silencieux, pour taire l'étrangeté de son état, mais entraîne malgré lui tous les personnages qu'il croise, dans de longues confidences.
Depuis Rùna, qui le conduit à Soley, ( son ancienne amoureuse), il redécouvre la vie et les générations qui se sont succédé dans ce fjord, à la forme « d'une étreinte » .
Comme l'amnésique qui écrit, JK Stefánsson s'autorise les redites et les contradictions. Une extraordinaire mosaïque intemporelle, où se chevauchent les années, où se parlent les femmes et les hommes par-delà la mort ou les océans, sans cesse bousculés par leurs fractures, leurs abandons,leurs désirs et leurs reniements !
Ton absence n'est que ténèbres est l'épitaphe inscrite sur la tombe d'Aldis, dont la fille Rùna commence à raconter l'histoire et celle de son père Haraldur, et ainsi que le narrateur amnésique on aspire à pouvoir assembler les morceaux de l' immense puzzle dont on entrevoit la complexité .
« Je dirais que le lombric reflète la pensée humaine », est titre d'un paragraphe ( dont JKS a toujours le secret). Voilà la rencontre qui bouleversera les vies de Gudridur la fermière qui n 'a jamais étudié et de Petrur, le pasteur qui écrit secrètement au poète mort Hölderlin . Nous sommes projetés sans préparation au début du XIXe siècle.
Les personnages, fermiers, pêcheurs mènent une vie simple en apparence, mais dominée par le désir d'amour inaltérable au-delà de la mort. Ils sont têtus, emportés, lyriques, alcooliques, ( on boit beaucoup tout au long du livre), poètes ou philosophes. Ils croient en Dieu ou/et aux forces de la nature . Ils luttent contre les ténèbres, et si certains échouent, ils ne sont pas avares de grandes espérances.
Tout comme dans son précédent roman, Asta, JK Stefánsson nous offre avec la lecture une bande son « jazz/pop/rock », dont les paroles des chansons se glissent avec virtuosité dans le corps du texte , c'est « la Compilation de la Camarde », qu'Eirikùr, Haraldur, Halldor, Saevar, et tant d'autres ont préparé pour la Fête qui se prépare au long cours et termine ce livre à l'écriture poétique, mais aussi décalée, drôle et crue, entêtante comme un refrain chanté .
Il ne faut pas hésiter devant le plaisir d'ouvrir ce roman de 600 pages, dont la lecture vous donnera envie tout comme le narrateur, de tisser des liens entre les vivants et les morts, entre jadis et aujourd'hui, pour aller danser et chanter dans un fjord de l'Ouest en Islande. « Ton absence n'est que ténèbres » est véritablement un livre lumineux.
MLMT
Ton absence n'est que ténèbres
Jón Kalman STEFÁNSSON
Traduction Éric Boury
Grasset