Lire Lolita à Téhéran

À la fin de ce mois de mars, un film inspiré de ce livre sera sur nos écrans de cinéma .
L'occasion d'écrire quelques lignes sur cet ouvrage passionnant, que l'autrice Azar Nafisi a publié en 2003, qui a reçu en France le Prix du meilleur roman étranger en 2004, et le Grand Prix des lectrices de Elles en 2005 .
L'an dernier les éditions Zulma ont décidé de rééditer ce livre, pour le remettre en lumière à la suite des derniers événements qui secouent l'Iran. Le mouvement Femme, Vie, Liberté, que nous admirons, soutenons, nous vaut aussi de relire ou découvrir un texte essentiel à la compréhension des luttes féminines/féministes en Iran.
Azar Nafisi née à Téhéran dans une famille de la bourgeoisie persane,( opposante au Shah) a fait ses études dès le lycée en Angleterre, puis aux Etats unis . Engagée politiquement, elle rentre en Iran après la chute du Shah, décidée à participer en tant qu'enseignante à la révolution . Mais, elle est vite confrontée au pouvoir religieux qui s'installe et dicte sa loi dans toutes les instances politiques, sociales, éducatives. Comme femme et intellectuelle elle est au premier rang de la vindicte des mollahs .
Elle sera obligée de quitter l’université car elle refuse de se voiler. Débute ainsi le récit captivant des cours clandestins qu'Azar Nafisi donne chez elle, à des jeunes étudiantes.
Lolita, petite fille dont Humbert Humbert a fait sa chose, devient au fil des longues séances de lecture et d'étude, la métaphore de ce que vivent les femmes dans ce pays, où il est souhaité qu'elles disparaissent de la vie publique . L'autrice voit Lolita comme un papillon épinglé au mur par l'indifférence d'Humbert à son égard . Elle écrit qu'il est d'autant plus terrifiant qu'il « affiche l'attitude d'un époux normal, d'un beau-père normal, (…) d'un être humain normal ». Miroir qu'elle et ses étudiantes tendent aux hommes iraniens qui imposent leurs lois.
Enseigner Gatsby , une histoire d'adultère : puni par la loi de lapidation en Iran ! Discourir sur les mots passion, amour, sacrifice, qui alors à Téhéran se conjuguent avec révolution... Les étudiantes sont pour le moins déroutées. D'autant plus que ce roman parle aussi du rêve américain, et qu'au dehors, dans les manifestations on hurle : «  À bas l’Amérique, le grand Satan ».
D'ailleurs les livres qu'elle propose à l'étude sont censurés. Ils circulent sous le manteau, chez quelques rares bouquinistes . Nombreuses sont celles qui les lisent sur des liasses de photocopies.
La grande force de ce récit, est de montrer comment cohabitent le monde du « dehors » celui de la de Khomeini, et celui du «dedans» : les cours d'Azar Nafisi et la vie de ces jeunes femmes qui trouvent là, le lieu où se dévoiler au propre et au figuré . On assiste à leurs débats acharnés entre laïques et pratiquantes, entre celles qui déjà veulent leur liberté, et celles qui ne voient pas d'issue, y compris à leur avenir professionnel, sans en passer par le mariage.
Le ton passe du grave au rire, du drame à la comédie. Sous le joug d'un régime «tragique et absurde », le pouvoir de la littérature permet de « tourner le malheur en dérision », « l'art et la littérature ne sont pas un luxe, mais une nécessité ».
Écrit il y a plus de vingt ans, ce récit est malheureusement toujours d'actualité, peut-être même de plus en plus . Mais il est aussi un manifeste pour célébrer l'intelligence, le combat intellectuel et féministe, un hymne à la liberté.

MLMT

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