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7 Juin 2025
Le premier livre d'Adèle Yon, affiche roman sur la quatrième de couverture, mais c'est un ouvrage hybride, essai/enquête sur son arrière grand-mère Betsy, désignée comme« folle », et sur la psychiatrie de la première moitié du XXème siècle. Ce texte tient en haleine de bout en bout, comme pourrait le faire la lecture d'un polar, ou plutôt d'un thriller familial de la grande bourgeoisie qui a pour principe que ne pas parler est toujours la bonne solution. Affirmer qu'on ne se souvient pas, est également le discours récurent de cette famille très nombreuse.
Néanmoins l'autrice, chercheuse de son état, craignant d'être atteinte de cette folie qui semble depuis trois générations inquiéter les femmes de son entourage, décide d'aller plus loin que ce qu'en disent les légendes familiales.
La grand-mère d'Adèle fille aînée de Betsy , dira à sa petite fille en réponse à la question sur ce qu'elle sait de l'histoire médicale de sa mère : rien, mais vraiment, rien, rien. Puis elle lui remettra une boîte contenant lettres et photos dont elle n'a jamais voulu prendre connaissance.
Allant donc à l'encontre de la volonté silencieuse, Adèle Yon, rencontre des cousines, tantes, oncles, sœurs et beaux-frères de la disparue, et telle une brodeuse, dessine avec un soin précis le portrait d'une aïeule née trop intelligente, trop indépendante, mais aussi trop fragile pour lutter contre le carcan d'un mariage qui ne lui convient pas . Le futur mari très catholique qui désire être saint écrit :« Le Seigneur a voulu qu'un mari conduise sa femme. Sans doute vous êtes libre ( …) je suis votre chef ; La Providence m'a institué tel ».
Quels excès de liberté vaudront à Betsy d'être lobotomisée, à la demande de son père et de son mari, puis d'être internée pendant dix-sept ans ? Il faut patienter à la fin du livre pour que les secrets soient dévoilés.
L'enquête mène l'autrice sur la psychiatrie de l'époque, allant rechercher jusqu'aux USA, les premières interventions de neuro-psychiatrie. Les découvertes qu'elles fait sont assez effrayantes, tout comme le sont les raisons invoquées, et les résultats escomptés pour effectuer ces opérations.
Très vite le mieux-être du patient, passe derrière la tranquillité sociale retrouvée de l'entourage .
Elle montre que le pourcentage de femmes lobotomisées ( entre 1945 et 1960 ) est beaucoup plus élevé que celui des hommes. Elle fait un parallèle avec les folles de Charcot, qui est assez troublant et digne d’intérêt . Elle rencontre ainsi des anciens soignants qui ont connu un temps où le monde
asilaire avait des accointances avec le monde carcéral. Elle rend aussi hommage à celles et ceux qui ont humanisé la psychiatrie en redonnant son sens véritable au mot soin.
Grâce à sa rigueur de chercheuse, et bien qu'elle ne taise ni ses difficultés, ni ses émotions, l'autrice permet à son récit de se dérouler sans démonstrations excessives de pathos. Elle est là, à sa juste place pour dire par-delà les années écoulées, combien Élisabeth méritait ce témoignage magnifique pour restaurer sa dignité. Ce texte bouleversant est à découvrir, absolument.
MLMT
Mon vrai nom est Élisabeth
Adèle Yon
Éditions du Sous-Sol