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Querelle autour d'un petit cochon italianissime à San Salvario

Enzo est journaliste. Il travaille sans réel enthousiasme pour un quotidien de Turin, songeant souvent à quitter le métier sans vraiment y parvenir. Enzo habite, comme l'auteur, dans le quartier de San Salvario où les population de toutes origines se mêlent, non sans quelques frottement qui irritent vite et pourraient ruiner la relative paix sociale qui s'est installée entre ses habitants. L'histoire de Gino, le petit cochon purement italien, supporter de la Juventus que Joseph élève sur son balcon, pourrait bien mettre le feu aux poudres depuis qu'il a été filmé se promenant tranquillement dans la mosquée du quartier. Qui est responsable de cette mise en scène et de sa diffusion? Joseph s'est-il fait piégé? En tout cas, l'évènement ne laisse indifférent personne, des musulmans qui fréquentent la mosquée aux xénophobes qui entendent bien défendre jusqu'au bout Gino, symbole des symboles d'une vraie italianité, en passant par les défenseurs des animaux et du bien-être animal. Enzo étant bien avec tout le monde, il va être amené à jouer les négociateurs et médiateurs pour éviter le dérapage. Cela ne sera pas sans mal, d'autant plus qu'en parallèle son patron lui met la pression pour qu'il travaille rapidement sur l'assassinat d'albanais en plusieurs endroits dans la ville de Turin. Le rédacteur en chef tient en effet à tout prix à suivre cette affaire, quitte à la monter en épingle pour s'assurer de bonnes ventes.

Avec ironie et un certain pragmatisme, qui pourrait presque passer pour du cynisme sans malveillance, Enzo et le narrateur mettent le doigt sur bien des travers de la société italienne -qui ne sont pas qu'italiens- et de sa presse plus soucieuse de tirage et de notoriété que de vérité et d'enjeux sociétaux. Un peu d'ambition sans trop de scrupules pour assaisonner le tout "e la nave va", vogue le navire ou la galère! Le tout sous le regard attentif, bienveillant mais terriblement intrusif d'une mère très méditerranéenne et d'un oncle qui se la joue franchement parrain et mafioso. Si celui qui est né rond ne meurt pas carré (chine náscia rutunnu non mora quadratu), il n'échappe pas non plus à ses origines, à sa famille et à ses amis, à tous ceux qui veillent sur lui ou qui ont besoin de lui.

A la fois journaliste, anthropologue et romancier, Amara Lakous fond ses origines kabyles dans l'écriture d'une société devenue, bon gré mal gré, multi-culturelle tout en restant très italienne, c'est à dire une calabraise, un peu romaine, un eu lombarde, un peu sicilienne, un peu napolitaine... et même parfois, un peu roumaine. Il y a dans ce récit un peu de Fellini et surtout beaucoup de comédie italienne, à laquelle le roman rend hommage à plusieurs reprises. Les références à l'actualité et à l'histoire récente de l'Italie parsèment aussi le roman, comme autant de clins d’œil complices à celles et ceux qui en sont familiers, mais grâce à la vigilance de la traductrice, cela ne gène guère le lecteur français non-initié. Au contraire, on y découvre mots et expressions, figures et symboles, nationaux et régionaux, avec même quelques touches albanaises, roumaines et nigérianes dont on entrevoit l'histoire et le destin -et aussi le rôle et "l'utilité"- dans cette Italie à laquelle on ne cesse de reprocher ces frontières perméables comme une passoire pour les pâtes. On peut sans doute rester un peu frustré par la fin de cette Querelle, suspendue entre deux eaux, bouclée par le dicton calabrais cité, mais ainsi va la vie, sans que l'on puisse vraiment l'arrêter, sans que l'on puisse prétendre conclure quoi que ce soit, où que ce soit.

M. Ossorguine

Amara Lakhous - Querelle autour d'un petit cochon italianissime à San Salvario - traduit de l'italien par Elise Gruau (Contesa per un maialino italianissimo a San Salvario, 2013) - Actes Sud, 2014

[Sur le site de l'éditeur]

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