Les Abeilles d'hiver

" Demain, Vendredi Saint, je vais enfin pouvoir emmener mes abeilles à la frontière belge pour vérifier que tout va bien. J'avais mis des ruches à l'abri dans une grange pour l'hiver... Je vais emporter les ruches aux pâturages..."

Récit d'un serein pastoralisme, vie paisible d'un apiculteur un brin poète qui effeuillerait paisiblement la marguerite des jours en un village niché à la frontière de l'Allemagne et de la Belgique?
Pas exactement, en 1944 ce sont d'autres "insectes" assourdissants, aux piqûres autrement dangereuses et dévastatrices qui sillonnent le ciel.

Ils ont pour noms Heinkel, Dornier, Lancaster et autres Spitfire.

Ils déversent sur le dos des villageois leur fardeau de haine. Egidius Arimond professeur radié par les nazis car épileptique donne de son temps, de son attention raisonnée à ses abeilles. C'est un homme de "l'arrière" de ce fait jalousé et volontiers raillé, pas tout à fait un Homme, éloigné de la posture virile exhibée par quelques fervents du national socialisme. Cependant il se trouve quelques épouses en fin de deuil qui savent lui reconnaître quelque vertu. À sa façon Egidius est comme l'aurait dit Musil un "homme sans qualités". Un de ces passants sans ombre, un élément sans plus du paysage quotidien.

Ce que chacun ignore, hissé sur la pointe des pieds de ses certitudes, c'est que notre ami ne nourrit aucune sympathie pour l'air vicié du temps. Sagesse peut-être inspirée de la société de ses abeilles et, disons-le, nécessité aussi d'acheter le remède qui l'apaise, il aide des malheureux à fuir la traque de la soldatesque en passant la frontière. Il sait le faire avec humanité et ingéniosité, non sans courage. Et si vous n'entrevoyez qu'une seule utilité des ruches et des bigoudis(!) un conseil, accompagnez Egidius en  son douloureux périple....

C.B

Les Abeilles d'hiver.

Norbert Scheuer.

Traduction : Marie-claude Auger

Actes Sud